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MELANIE DE BIASIO

Taipei

Le mercredi 05 février 2014, par Laurent Sapir

De fête en fille, ça vivote sec chez Tao Lin.  Ses personnages se font beaucoup de films. Se filment aussi eux-mêmes, d'ailleurs, sur Macbook, quand ils ne s'offrent pas des dîners sous Xanax. Et ce n'est pas sans une certaine pointe d'émoi que Paul, le jeune écrivain natif de Taïwan qui est au coeur de ce roman new-yorkais, se trouve dans une "situation stable d'attraction mutuelle et croissante" lorsque telle ou telle cible amoureuse se rend subrepticement plus abordable.

Ainsi surgit l'aventureuse Erin qui, entre deux paradis artificiels, s'inscruste dans le viseur du narrateur. Avec elle, la connection est d'abord ludique, donc fantastique. A Brooklyn comme à Taipei (capitale de Taïwan), ces deux-là mettent leur égo au vestiaire, s'éclatent sans étouffer l'autre, s'envoient en l'air en refusant toute sacralisation de la sexualité. C'est vrai que leur propension à l'auto-analyse est parfois édifiante ( "-Qu'est ce que tu penses de nos disputes, jusqu'ici ? -je crois ... J'ai l'impression qu'elles sont bien"...), mais tout cela exulte d'intégrité.

Jusqu'à la rupture, dans le taxi, quand Paul a l'impression d'être obligé de tourner la tête à plus de 90 degrés pour voir sa partenaire. "Par la vitre, contre son visage, la lumière du petit matin avait l'éclat vertical et la chaleur accumulée, agrume, d'un soleil de fin d'après-midi"... Les apparences sont bien trompeuses, finalement... Si on reste à la surface des choses, on peut voir en Tao Lin le chroniqueur d'une génération déboussolée soldant son marasme existentiel dans la défonce permanente et la nonchalance monocorde via Facebook, Twitter, et autres écrans portatifs. On peut aussi percevoir dans sa prose de poignants éclairs de lucidité, une résistance réinventée face au "clignotement lent et amorphe" des félicités uniformes, et surtout un nouvel âge d'or de la mélancolie auquel nous convie celui qui, dés la parution du langoureux Richard Yates, en 2012, était qualifié de "Kafka de la génération IPhone"...

Phrasé en spirale, virgules à foison... Le néo-junkie de la littérature US prolonge le minimalisme de Bret Easton Ellis sur des versants encore plus vertigineux. En témoigne cette fulgurante saillie aux deux-tiers du roman: "Etait-ce ainsi que les gens sauvegardaient leurs relations et leur santé mentale? En exprimant sans aucune inhibition leur ressentiment pour que, par contraste, une indifférence à venir devienne affection?"... Taipei devient alors un manuel de savoir-vivre pour siècle déjà finissant.

Taipei, de Tao Lin (Editions au Diable Vauvert). Coup de projecteur avec l'auteur, ce jeudi 6 février, à 12h30, sur TSFJAZZ.

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