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S'adapter

Le samedi 23 octobre 2021, par Laurent Sapir
"Dira-t-on les funambules que sont les éprouvés ?"... En lice pour le Goncourt et le Fémina, Clara Dupont-Monod signe avec "S'adapter" un récit déchirant et remarquablement ciselé sur le handicap.

Comment le qualifier, cet enfant mal né au "corps mou ", au "regard mobile et vide "? Clara Dupont-Monod n'a guère l'embarras du choix. Elle ne veut pas avoir recours aux termes qu'on utilise pour un objet, genre "abîmé " ou "inachevé ". De ce petit être silencieux (sauf lorsqu'il pleure) condamné à plus ou moins brève échéance, on dira alors qu'il est inadapté... et qu'il faut du même coup s'y adapter.

L'aîné donne l'exemple. Fier et courageux, son tempérament tête brûlée s'agenouille soudain à la hauteur du petit frère. Il le change, le nourrit, le manie avec précaution. Parfois, il pose sa joue sur celle de l'enfant et en savoure "le rebondi crémeux ". Il apprendra aussi à lui survivre, "l'âme sanglée de peine " mais finalement apaisée dans une solitude où la seule dignité qui vaille est de rester debout.

La cadette s'adapte autrement. Elle a aussi sa fierté, mais surtout une propension à la révolte que Clara Dupont-Monod excelle à observer dans la lignée d'une autre insoumise, Aliénor d'Aquitaine, dont elle avait brossé l'odyssée avant tant de brio il y a trois ans. La cadette se braque contre le frangin inadapté. Il est encombrant. Il lui vole son aîné. Évidemment qu'elle tombera en loques quand ils ne seront plus que deux, l'aîné et elle. En attendant, elle cherche la bagarre, se rebelle en classe, joue les insensibles. Et puis elle se calme lorsqu'elle pressent qu'autour d'elle tout risque de s'effondrer. Elle invente alors des stratagèmes guerriers pour apaiser la situation. Elle est sur un fil tendu, mais c'est aussi sa manière de s'adapter.

"Dira-t-on les funambules que sont les éprouvés ?", écrit Clara Dupont-Monod... Cela vaut aussi pour "le dernier ", celui qui est né après, à l'ombre du frère défunt qui fait désormais figure de fantôme dans la maison. Alors puisque là aussi il faut s'adapter, "le dernier " s'empare de l'âme du disparu. Il l'appelle "mon presque moi " et décide de se lover dans l'étoffe de l'enfant parfait, celui qui fera le bonheur et non plus le malheur de ses parents, et puis aussi le bonheur de son grand frère et de sa grande sœur. Et il y arrive ! Un vrai sorcier, ce gamin !

Plus encore qu'une finesse d'écriture, il y a ici une finesse de déchirure. Elle aurait aisément pu s'abstraire de son environnement cévenol, de cette nature omniprésente qui n'apporte guère de plus-value probante à la force du récit, et encore davantage de cette curieuse manière de faire parler les pierres de la propriété familiale face aux drames et aux résiliences qui sont en jeu. La plume de Clara Dupont-Monod est bien plus ciselée lorsqu'elle s'éloigne de cette poésie un peu lourde et qu'elle se déploie à hauteur de l'humain, donnant forme à l'un des récits les plus poignants de cette rentrée.

S'adapter, Clara Dupont-Monod (Editions Stock)

 

 

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la plume de Clara Dupont-Monod

 

 

 

Clara Dupont-Monod 

 

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