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PROLOGUE
WOLFGANG PUSCHNIG

Ramon

Le samedi 10 janvier 2009, par Laurent Sapir

Ramon Fernandez avait le goût des " trains qui partent". Pour expliquer sa glissade vers la droite la plus extrême après avoir choisi le "camp des porte-monnaie vides", ce romancier et critique des années 30 expliquait que ses amis communistes étaient trop dans l'idéal et la perfection et pas assez dans l'existence et l'action. Il ne voulait pas, lui, se contenter de "vociférer et taper du pied dans un train privé de locomotive", d'où la formule restée célèbre: "Moi -qu'y faire ?- (...) je retrouvais ma vieille habitude,  qui est de considérer la politique comme un recueil de recettes pour faire, et non pour souhaiter. J'ai le goût des trains qui partent"...

Le train de Ramon Fernandez, on le sait, a sérieusement déraillé, jusqu'à s'encastrer dans le déshonneur de la Collaboration avant qu'une embolie pulmonaire survenue juste avant la Libération de Paris n'évite à son illustre passager les rigueurs de l'Epuration. Dominique Fernandez a-t-il voulu reprendre le "train" en marche ? Ce serait faire injure que de lui prêter une telle intention..Dans Ramon, publié ces jours-ci chez Grasset, le fils n'excuse en rien la dérive du père. Il tente néanmoins  d'en comprendre les dénivelés et les contradictions en décortiquant minutieusement le parcours de Ramon Fernandez.

L'épluchage fait 800 pages, et c'est un peu trop... C'est trop, parce que le personnage n'est pas aussi fascinant en fin de compte que ceux qui, comme Céline, Drieu ou encore Brasillach,  l'ont à fois dépassé dans l'ignominie mais aussi dans l'incandescence. Où est l'incandescence chez Ramon Fernandez ? Dans sa passion du tango  et des Bugatti ? Dans le lit de ces comtesses défraîchies qu'aimait fréquenter ce mondain mexicanisant et alcoolisé? Dans les singeries militaires du PPF de Jacques Doriot dont Ramon sera l'une des recrues les plus en vue ?  Dans l'échec de son mariage avec une enseignante remarquable d'intégrité et qui pourtant, sous la plume du fils, est jugée avec une bien étrange sévérité ? Sans le dire nettement, mais en y insistant tout de même à plusieurs reprises, Dominique Fernandez fait le lien entre l'enfer conjugal de Ramon et son évolution politique. L'argument risque de laisser le lecteur à quai, surtout à la lumière des " trains qui partent "...

Même embarras, lorsque l'auteur attaque le chapitre de la Collaboration. Dans un premier temps, Dominique Fernandez en éclaire à juste titre le grisé et les interstices. L'adhésion à Vichy ou à la Résistance s'effectuait souvent à l'époque dans l'hésitation et le tourment. Ça gravitait, palier par palier, le temps de démêler des convictions confuses, enchevêtrées, parfois contradictoires. Ça cheminait plus que ça basculait et ceux qui avaient choisi des camps différents ne rompaient pas forcément toute relation entre eux. Ramon Fernandez va louvoyer dans cette pâle obscurité: un éloge à Bergson vilipendé par les antisémites, un livre courageux sur Proust, également honni, et en même temps le voyage de la honte à Weimar, à l'invitation de Goebbels...

" On a raison de supprimer des gens pareils", dira-t-il de l'exilé antifasciste Thomas Mann avant de disserter sur le style d'Hitler: "Par sa façon personnelle d'aborder les problèmes, que ce soit l'antisémitisme, par exemple, ou la question des races (...), l'auteur de Mein Kampf fait preuve d'une précision dans le choix des arguments qui lui permet de surmonter  le parti-pris ou la passion"...  Prose accablante, sauf que Dominique Fernandez est soulagé, pour sa part, que son père ne soit pas allé plus loin. Pour lui, l'activité politique de Ramon s'est limitée à l'année 1941, "quand le rêve d'un ordre européen dominé par l'Allemagne n'était pas encore nécessairement une infamie"...

Pas d'infamie, vraiment, alors que Paris est occupé et que "Mein Kampf" est déjà  dans toutes les "bonnes" librairies ? 800 pages effectivement,  surtout pour en arriver à ces mots là, c'est trop. Sans parler de cette comparaison désormais  lassante entre les collabos et les intellectuels, Sartre en tête,  qui ont soutenu le Parti communiste pendant la Guerre Froide (sauf que l'URSS n'a jamais envahi la France et qu'elle était d'abord, au yeux du plus grand nombre, associée à Stalingrad) ... Ramon est un livre important, respectable et troublant comme l'est cette quête du père par un monsieur qui approche des 80 ans... Mais "qu'y faire", comme disait l'écrivain collabo? D'autres trains font écho à ceux dont il aimait tant qu'ils partent. La plupart de leurs passagers ne sont jamais revenus. Au nom de leur mémoire, celle de Ramon Fernandez ne méritait peut-être pas un requiem aussi ambigü. 

Ramon, de Dominique Fernandez (Editions Grasset)

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