Direct
FREEDOM
BILLY TAYLOR

Quand Juliette racontait Gréco...

Le mercredi 23 septembre 2020, par Laurent Sapir
Juliette Gréco a rejoint Miles Davis qu'elle avait tant aimé. Nous aussi, à TSFJAZZ, nous l'aimions tant, et nous ne sommes pas prêts d'oublier plusieurs grands moments de radio qu'elle nous avait offerts en cadeau.

En janvier 2012, Juliette Gréco avait été au centre d'un Lundi du Duc, sur TSFJAZZ, en écho à une autobiographie fabuleuse qu'elle avait publiée aux éditions Flammarion sous le titre: Je suis faite comme ça. Voici ce qui avait été bloggé à la lecture de cet ouvrage.

Juliette raconte Gréco sans se la raconter. Mots doux et choisis, enrobés dans une jeunesse d'esprit qui se fiche éperdument du temps qui passe. Ces mots-là, il a fallu qu'elle les cherche. Toute jeune  -elle y fait référence à plusieurs reprises dans l'entretien- Juliette Gréco ne parlait pas. Délaissée par sa mère et surtout traumatisée par sa détention à Fresnes où l'avait expédiée la Gestapo, la "Jolie Môme" rimée par Léo Ferré n'était qu'un animal blessé et mutique. C'est Boris Vian, paraît-il, qui va la délivrer du silence, puis Sartre qui en fait une chanteuse en lui offrant "Rue des Blancs-Manteaux"...

Dans les coulisses de Pleyel, où elle n'a évidemment pas le moindre sou pour un quelconque fauteuil d'orchestre, elle aperçoit Miles Davis de profil. Avec lui, Gréco retombe dans le silence. Ça swingue à toute berzingue autour d'eux, mais elle s'en balance puisque seule compte la balade muette le long de la Seine au côté de cet Orphée Noir du jazz dont elle n'a même pas conscience qu'il a la peau noire. A New-York il en va tout autrement. Notamment à cause de ce maître d'hôtel raciste qui leur ordonne, à tous les deux, de déguerpir. Miles l'appelle dans la nuit:  "Il ne faut plus qu'on nous voit ensemble ailleurs que dans mon quartier. Ou alors vous serez considérée comme une 'pute à nègres'".

Je lui parle de Saint-Germain-des-Près, elle fait semblant de jouer du violon. Pour elle, ce n'est pas seulement du passé. C'est rien. Elle dit qu'elle ne se reconnait pas dans le personnage de muse qu'on a fabriqué pour elle. Elle ne comprend pas, non plus, pourquoi elle a eu cette chance de les voir tous agrégés autour d'elle, les Prévert, Brel, Gainsbourg. C'est encore l'animal blessé qui parle. Celle qui assume, encore et toujours, son trac sur scène. Bientôt 85 printemps, et une part d'enfance qui ne veut toujours pas abdiquer.

Surtout au contact de grands auteurs comme ceux qui affluent dans son nouvel album. Elle fait quand même la différence entre l'orgueil et la vanité. L'orgueil, elle le revendique. Elle est difficile, pas achetable, elle a souvent dit non. Et des générations de jeunes gens se sont identifiées à cette insoumise qui personnifie, aujourd'hui encore, la femme libre dans son absolu. Le titre de son album le confirme: ça se traverse et c'est vraiment beau, la Gréco life...

Juliette Gréco (7 février 1927-23 septembre 2020)

Partager l'article
Les dernières actus du Jazz blog