Portraits, Adam Baldych

Un violon dans la nuit... Dans "Portraits", son 8e opus pour le label Act, le virtuose polonais Adam Baldych signe un album habité par le souvenir de la Shoah, entre jazz et musique sacrée.
Il y eut le pianiste Krzysztof Komeda, compositeur attitré des films de Roman Polanski, mais aussi le vibraphoniste Jerzy Milian, le trompettiste Tomasz Stańko... Autant de grands noms associés au au jazz polonais, cette scène aussi fertile que rétive à tout glacis, y compris avant la chute du Mur. C'est un fougueux violoniste, Adam Baldych, qui en incarne à présent la relève. Figure montante du label ACT, il a déjà joué avec Lars Danielsson, Yaron Herman et Paolo Fresu, développant à leurs côtés profondeur d'âme et virtuosité de poète. Son nouvel album, Portraits, marque de toute évidence un jalon décisif dans le parcours d'un musicien dont la formation classique n'ankylose en rien la vibration jazzistique, surtout lorsqu'elle prend appui sur une sensibilité aussi réactive à "toute la beauté qu'au sang versé", comme dit la photographe Nan Goldin.
Le musicien rend ici hommage à son compatriote Szymon Laks (1901-1983), un compositeur classique juif qui a survécu comme chef d'orchestre à Auschwitz: "Quelle musique peut résonner en ce maudit lieu? Des danses macabres? Des chants funèbres ? Des chants hitlériens?"... Rédigés après guerre, ces mots résument l'expérience de Szymon Laks lorsque les nazis lui ont mis des pupitres sous les yeux. Mieux traité que les autres déportés, il n'en a pas moins constaté à quel point la musique, dans un contexte aussi atroce, pouvait également aggraver la prostration physique et morale de ses camarades de camp.
L'expressivité d'Adam Baldych, dont on devine en même temps le niveau d'introspection, se montre à la hauteur de ses enjeux. Sa musique est intense, douloureuse et exaltée à la fois, transpercée assurément par l'Histoire mais aussi en quête de transcendance, ne serait-ce qu'à travers des titres de morceaux souvent empruntés au vocabulaire religieux. Les musiciens qui l'accompagnent se fondent dans sa vision organique, à commencer par le saxophoniste Marek Konarski dont les envolées surgissent de manière jamais abrupte, comme dans Canon, l'une des plages les plus envoûtantes de l'album.
Son Genesis tout en ténèbres qu'une rosée de notes semble soudain aérer, Protest Song par son ampleur mélodique, ou encore le thème de Code nimbé de mystère résument également le sombre éclat du disque. On n'oublie pas non plus les beaux accents klezmer de Hamsa qui désigne dans la religion juive une amulette de protection contre les influences néfastes, et surtout le si poignant et dépouillé Lullaby for Ulma Family dédié à ce couple de Justes polonais abattu avec leurs six jeunes enfants pour avoir caché des juifs. La récente béatification de cette famille martyre a certainement inspiré à Adam Baldych ce jazz qui étreint et qui sanctifie.
Portraits, Adam Baldych (Act Music)