Direct
DEAR OLD SOUTHLAND
SIDNEY BECHET

Platonov

Le lundi 19 janvier 2015, par Laurent Sapir

Platonov et platitudes sur la scène de la Colline. Ce sont pourtant Les Possédés, dont on a vanté à d'innombrables reprises la vivacité, l'acidité et l'ultra-contemporanéité qui sont aux commandes. On n'a pas oublié leur Oncle Vania à mains nues d'il y a six ans. Mais là, sur le trop gigantesque plateau d'un théâtre-institution où un premier faux pas (Merlin ou la terre dévastée) avait déjà été commis autrefois, le jeune collectif emmené par Rodolphe Dana ne parvient jamais à se hisser au niveau de la radicalité dont l'indispensable Anton Tchekhov faisait preuve avec Platonov.

Pièce de jeunesse. On la découvre après sa mort. Dans Platonov, Anton a la rage. Il dézingue tout, y compris les paramètres d'une dramaturgie qu'il expose à tous vents. A l'arrivée, une vraie bourrasque. La pièce est longue, foutraque. On ne sait plus où donner de la tête avec tous ses personnages, mais l'essentiel est déjà là, à l'état brut: une propriété déliquescente, des vautours financiers qui tournent autour, l'ennui soldé dans l'alcool, la mélancolie quand elle n'a plus rien à voir avec la nostalgie. Et surtout, des personnages de femmes qui en veulent, qui n'en démordent pas dans l'émancipation. Les hommes font pitié, à côté.

Anna Petrovna, que tout le monde appelle la Générale, règne sur cette cour, surfe sur les médisances et place l'amour, le plaisir et les pulsations du vécu au-dessus de tout. On lui aurait rêvé une autre cible de prédilection. Mais non, c'est sur Platonov l'instit qu'elle craque ! Platonov le pleutre qui se prend tour à tour pour Dom Juan et Hamlet et n'est sauvé, en fin de compte, que par son passé, par l'idéal qui était le sien et par cette virtuosité d'esprit si craquante autrefois avant qu'elle ne sombre dans l'aigreur et peut-être aussi dans la lucidité dont font preuve, parfois, les purs et vrais ratés de l'existence. "Tout est hideux, souillé, usé jusqu'à la trame"...

Une mise en scène digne de ce nom et des comédiens d'exception auraient pu canaliser tout cela. C'était le cas, il y a 10 ans, sur la même scène, avec le Platonov d' Alain Françon transcendé par le couple Dominique Valadié/ Eric Elmosnino. Rodolphe Dana, qui joue Platonov, ne semble malheureusement pas savoir quoi faire de son personnage. Emmanuelle Devos, invitée par la troupe, s'en sort à peine mieux dans le rôle de la Générale. Elle nous offre une scène d'ivresse remarquable après l'entracte. Sa prestation d'amazone lorsqu'elle tente de mettre le grappin sur sa proie masculine est beaucoup moins convaincante. Limite vulgaire.

Le reste détonne vraiment par rapport à ce qu'on connaissait des Possédés. Dans quel vaudeville s'est perdu leur fameux théâtre "organique" ? Comment se fait-il que la spontanéité de leur jeu s'enterre ainsi dans le conventionnel sous leurs pattes devenues inopinément si lourdes ? Où est la gageure scénographique dans ce plateau bric-à-brac moche à souhait où des comédiens simulent un feu d'artifice ou le passage d'une locomotive avec les rudiments de l'agit-prop ? Où est la mise en scène ? Où est la poésie ? Où est la vibration ? Où est Tchekhov ?

Platonov, de Tchekhov, mis en scène par Rodolphe Dana et la compagnie Les Possédés, au théâtre de la Colline, à Paris, jusqu'au 11 février.

Partager l'article
Les dernières actus du Jazz blog