Paris musée du 21e siècle. Le 18e arrondissement

« Je ne suis pas là pour flâner, je suis là pour flâner au carré »... De Montmartre à la Chapelle, Thomas Clerc signe une sorte d'atlas du 18e arrondissement aussi ébouriffant et kaléidoscopique dans ses paysages que dans la façon dont l'auteur les aborde.
ll prend un malin plaisir à faire tomber des trottinettes et à nouer la conversation avec des propriétaires de chiens. Il aime bien aussi se faire passer pour un touriste ou fantasmer en direct sur la destruction d'un immeuble qu'il trouve horrible. On peut le surprendre, enfin, en train de tester tous les barbiers du quartier, Algérien ou Bangladais de préférence, comme si le simple fait de se raser relevait chez lui de l'addiction. Mais qui est donc cet étrange bonhomme qui traîne ses guêtres entre Montmartre, La Goutte d'or et La Chapelle ? Ce qui certain, c'est que Thomas Clerc, qui vient de signer l'ovni de la rentrée littéraire avec son Paris musée du XXIe siècle. Le dix-huitième arrondissement, est un flâneur pour le moins proactif.
Les 425 rues, avenues, places et autres squares du 18e, il les arpente en mode grand huit, mêlant déambulation et performance, description et digressions, présent et passé... Il a forgé pour cela un étrange outil qu'il qualifie de "borne". Le récit en compte près d'une centaine qui reviennent régulièrement au fil des pages: "apparition", "banalité de base", "image mentale", "incident" ou encore "mystère social"... Autant de mesures sur une partition, ou de virgules ayant vocation à ponctuer et rythmer les itinéraires de notre promeneur solitaire au gré de focus express, de saynètes, de souvenirs personnels surgissant comme l'éclair ou de mini-interventions dans l'espace public. Souvent drôle, toujours ébouriffante, la plume de Thomas Clerc transforme ainsi l'arrondissement le plus bigarré de Panam' en théâtre permanent offert à toutes les altérités.
Notre ami, on l'aura compris, a aussi ses humeurs, ses versants, ses préférences. Le Montmartre gentrifié ou de carte postale, ça n'est pas son truc. Il parvient toujours en même temps à trouver une certaine diversité dans les paysages qui s'offrent à son regard, y compris dans la partie la plus bourgeoise de l'arrondissement. Et s'il se plaît à entretenir le souvenir des communards qui ont tant marqué l'histoire de la Butte, le Sacré-Cœur, malgré sa genèse infâme, n'est propice de sa part à aucun dessein nihiliste. Le square Louise-Michel devient ainsi le pendant rêvé à la basilique située sur ses hauteurs, même "si la verdure va mal aux rouges ". Bref, Thomas Clerc pouffe et quadrille en même temps. Tout chez lui est d'ailleurs frappé du sceau de la simultanéité. Séduit par un groupe de jazz amateur, il peut décréter dans la même seconde qu'il n'aime pas cette musique. Il traque le cœur même du 18e tout en errant dans ses propres limbes, entre pensées sauvages et punchlines caustiques.
Un 18e rêvé transparaît en même temps sous sa plume, notamment dans la partie a priori la plus ingrate de l'arrondissement où il réside, du côté de La Chapelle/ Marx Dormoy. Ici, observe-t-il, "on est dans un film documentaire, pas dans du cinéma de reconstitution ! ", même si l'auteur ne dissimule en rien les travers stressants, voire "incivilisés" du quartier. Comment en même temps ne pas savourer le pont Riquet "qui surplombe majestueusement les voies ferrées, à cet endroit extrêmement larges, et donne le sentiment exact d’un avenir et d’une amplitude qui n’existe guère à Paris, ville fermée, dense et resserrée sur elle-même » ? L'ouvrage est effectivement riche en espace, aussi bien à travers ses 600 pages que dans sa démesure, ses singularités au pluriel, sa sociologie déjantée d'un arrondissement-monde et son ouverture à une multitude d'au-delà.
Paris, Musée du XXIe siècle. Le dix-huitième arrondissement. Thomas Clerc (Éditions de minuit). Coup de projecteur avec l'auteur ce jeudi 24 octobre, sur TSFJAZZ (13h30)