Samedi 4 octobre 2025 par Laurent Sapir

Martial Solal manque beaucoup au film "Nouvelle vague"...

Joyeux, soyeux, mais d'une candeur déconcertante. Pour le reste, raconter "À bout de souffle" en expulsant quasiment du scénario Martial Solal et sa B.O. de légende, ça fait un peu désordre...

 

Il est jeune, fantasque, spirituel, et il fait des aphorismes. Ou alors il en cite d'autres : "Je n'ai pas besoin de temps, j'ai besoin d'une date butoir" (Duke Ellington). Comment résister au Jean-Luc Godard tournant À bout de souffle, ce baptême du feu mythique qui l'installe dès mars 1960 dans la légende du cinéma ? Devant la caméra attendrie de l'Américain Richard Linklater, c'est l'esprit de bande et l'enthousiasme juvénile qui dominent, même s'ils sont plusieurs dans l'équipe à se demander dans quelle aventure Godard les a emmenés.

Dès lors qu'il en connaît la fantastique issue, Linklater n'a pas cédé à la satire, voire au vitriol, comme dans le déplaisant mais plus affirmé Le Redoutable de Michel Hazanavicius. Les matériaux sur lesquels le réalisateur américain a toujours travaillé sont ailleurs : le passage du temps (Boyhood), le besoin de faire groupe (Last Flag Flying), la manière dont ces flux changent les êtres, les nations... ou le cinéma. Il fallait pour cela un JLG tout en insolence joyeuse. Guillaume Marbeck est parfait dans ce rôle. Son jeu ne laisse en rien percevoir le futur gourou que certains se plairont à caricaturer. Il en fait voir de vertes et des pas mûres, certes, surtout quand il sacrifie toute une journée de tournage pour retrouver l'inspiration devant un flipper, mais ces frasques sont surtout observées sous le sceau de la malice.

Sauf que de la malice à la candeur, le pas est vite franchi. Fétichisé à l'extrême, Nouvelle Vague restitue à merveille le Paris de l'époque, mais sans donner chair à la troupe si bariolée qui entourait Godard. Souci d'interprétation ? On aime beaucoup, pourtant, le Raoul Coutard (le chef op' de À bout de souffle) proposé par Mathieu Penchinat, et encore plus la si vibrante Zoey Deutch dans la peau de Jean Seberg, mais le comédien qui joue Jean-Paul Belmondo n'est pas à la hauteur. Quant à François Truffaut, il est réduit ici à un comparse gentillet dont on devine presque chacune des répliques.

À tant vouloir archiver, Richard Linklater a trop lissé. On ne lui demandait pas forcément de reproduire le chaos "godardien", mais sous un vernis à la fois frais et satiné, son film flirte avec l'anecdotique. Difficile, enfin, de comprendre pourquoi le regretté Martial Solal a été quasiment évincé du scénario. Problème de droits ? La B.O. de À Bout de souffle fait pourtant partie du mythe. Il n'aurait pas été anodin, d'ailleurs, de rappeler que celui qui aimait tant citer Duke Ellington revendiquait aussi avoir tourné son film comme on improvise un morceau de jazz. 

Nouvelle Vague, Richard Linklater, en compétition au dernier Festival de Cannes. Sortie en salles ce mercredi 8 octobre.