Lucrèce Borgia (version Béatrice Dalle)
Crédits photo @Vincent Josse
Quelle barbe, le théâtre de Victor Hugo ! "La maternité purifiant la difformité morale, voilà Lucrèce Borgia", s'exclame l'écrivain-poète rétrospectivement bien réac lorsqu'il justifie cette pièce bâclée en à peine 15 jours, boursouflée de partout et dont le peu de raffinement donne immédiatement envie d'aller voir du côté de Musset et de son sublime Lorenzaccio pour ausculter l'Italie viciée et bariolée de la Renaissance.
La prose, la progression du récit, la densité des personnages... Rien dans Lucrèce Borgia ne vient faire écho aux fulgurances qui transcenderont plus tard Les Misérables. Sous couvert de rendre le théâtre au peuple, Hugo lui demande d'accepter d'emblée l'invraisemblable, à savoir l'attendrissement soudain et incestueux d'une mère pour son fils (lequel ignore qui l'a mis au monde...) alors que la dite génitrice s'est avérée jusque là imperméable au moindre sentiment, toute experte qu'elle est en empoisonnements et autres coucheries avec père et frères.
Que faire, dés lors, de ce Shakespeare du pauvre ? Y aller à fond et le jouer tel que son auteur l'a conçu, écrivait en son temps Colette, "c’est-à-dire avec grandiloquence, flamme, grands éclats, égarements, expressions démesurées»... Antoine Vitez retient une partie de la leçon à Avignon, en 1985, lorsqu'il donne le rôle-titre à Nada Strancar, toutes griffes dehors, faisant de Lucrèce une diva du crime et de l'expiation.
Sauf que la scène est entièrement nue. Elle se résume à "un plateau de lacs noirs sur lequel s'allument, de temps en temps, des étoiles souterraines", comme le souligne si joliment la regrettée France Roche dans un reportage de France 2 que l'on peut encore voir sur le site de l'INA. Et Vitez d'enfoncer le clou lorsqu'il relie les personnages d'Hugo à des archétypes de la tragédie grecque. "C'est bien de ne pas leur donner de décor et de les voir dressés, debout, sur la scène de théâtre, dans la nuit"...
Vu comme ça, le théâtre de Victor Hugo peut effectivement faire sens. David Bobée, qui nous avait offert à Chaillot un braisé et chatoyant Roméo et Juliette, a choisi un autre parti-pris en transformant le plateau de la Maison des Arts de Créteil en pataugeoire géante pour son et lumière. Une prime à la natation synchronisée, en somme. Pour ses débuts sur scène, Béatrice Dalle produit de touchants efforts dans cette discipline.
Lucrèce Borgia, de Victor Hugo, avec Béatrice Dalle. Mise en scène David Bobée. A la Maison des Arts de Créteil jusqu'au 18 octobre.