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Nos enfants nous font peur quand on les croise dans la rue

Le vendredi 13 février 2009, par Laurent Sapir

Théâtre à vif à Gennevilliers, comme une réponse cinglante et sciemment post-moderne à toutes les vieilleries d'une certaine dramaturgie dite contemporaine. La pièce est signée Ronan Chéneau, véritable chien fou dans un jeu de quilles sarkozyste. Le cocktail est gratiné: émeutes dans les banlieues, expulsions de sans-papiers, ministère de l'Identité nationale, turpitudes de la Françafrique, appel à la lutte armée... Il vient lui-même sur le plateau, Ronan Chéneau, avec ses feuilles jetables.

Il a écrit, dit-il, un texte sur l'Afrique ou plutôt sur son image de l'Afrique, juste avant un voyage homérique à Brazzaville, à la rencontre de plusieurs danseurs-acrobates qu'il a ramenés avec lui sur la scène de Gennevilliers. Il est parti en Afrique, en fait, pour mieux parler de la France et de ses moisissures idéologiques. Il est intarissable sur ce sujet, Ronan Chéneau, et on est d'emblée en symbiose avec ce drôle de narrateur qui a fait de sa prose une nécessité, quelqu'en soit le réel impact politique.

Les tenants de l'agit-prop' véhiculaient autrefois les mêmes ardeurs, les mêmes excès, les mêmes raccourcis à la hauteur des urgences qui les taraudaient.  Même état d'urgence, à Gennevilliers, jusqu'à se prendre quelques grosses claques chez quelques critiques (surtout de gauche) qui ont reproché à ce spectacle son caractère simpliste et radical...  Eh bien chiche! On la prend en bloc, nous, la radicalité de la pièce... On peut y trouver des facilités, et même un soupçon de démagogie de temps en temps, mais c'est si rare, sur nos scènes, aujourd'hui, ce théâtre de tripes, ces explosions de sincérité, de colère et d'émotions, et puis  cela fait tellement du bien, à Gennevilliers la Rouge, de voir tant de jeunes dans la salle qui ne sont peut-être jamais allés au théâtre de leur vie.

Ces néophytes verront d'entrée de jeu ce que cela signifie que d'investir un plateau, car à ce texte enragé correspond une mise en scène jouissive, visuelle et formidablement rythmée par David Bobee, avec des jeux d'ombre, des éclats stroboscopiques, des renforts vidéo, un plateau transformé en salle d'aéroport, une Marseillaise aussi fouettarde que celle d'Albert Ayler, et surtout des danseurs blacks fulgurants emmenés par le chorégraphe congolais DeLaVallet Debiefono...  "Nos enfants nous font peur quand on les croise dans la rue" relève peut-être, en fin de compte, de ce théâtre où on n'a pas le temps de dire ouf ! On peut comprendre que cela dérange des esprits traditionnellement plus posés...

"Nos enfants nous font peur quand on les croise dans la rue", de Ronan Chéneau et David Bobee,Théâtre 2 Gennevilliers (Hauts-de-Seine) jusqu'au 14 février et à la Maison des Arts de Créteil du 4 au 7 mars.

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