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L'Homme qui tombe

Le dimanche 06 avril 2008, par Laurent Sapir

La foule semble comme irréelle, ce jour là, en plein défilé anti-guerre. Aussi irréelle que ce type qui harponne les manifestants: "Vous savez, c'est l'anniversaire de Charlie Parker, aujourd'hui !"... Dans cette scène comme dans bien d'autres, Don DeLillo, véritable géant des lettres anglo-saxonnes au côté de Philip Roth, Thomas Pynchon ou encore Cormac McCarthy, évoque une Amérique post-moderne en apesanteur, dépouillée de tous ses repères et complètement désorbitée par les attentats du 11 septembre. Il en fait, justement, de ce 11 septembre, le thème central de son nouveau roman, "L'Homme qui tombe", à partir d'un événement qu' il avait curieusement prévu dans un ouvrage paru il y a une trentaine d'années.

Après la prémonition, la désarticulation... " L'Homme qui tombe " démarre sur l' errance d' un rescapé du World Trade Center, Keith... Le visage en sang (mais un sang qui ne lui appartient pas ! ) , il déambule comme un zombie dans Manhattan, ce 11 septembre 2001, avec à la main une mallette ( là aussi qui ne lui appartient pas !!) ... Plutôt que d'aller à l'hôpital, il part retrouver son ex-femme, Lianne, qui s'occupe d'un groupe de personnes atteintes de la maladie d' Alzheimer. Il est d'ailleurs beaucoup question de la mémoire, dans "L' Homme qui tombe", et surtout de l'intêret ou pas d'en avoir une.

Le personnage principal, lui, a choisi de ne plus se souvenir de grand chose... Il a choisi de se perdre, de fuir tout lien social, toute quête identitaire, puisque tout désormais est brouillé: les images, les sons; plus rien n'a de sens: famille, sexe, amitié... Keith finit devant une table de poker, à Las Vegas, au milieu du désert, car là au moins, «les cartes tombaient au hasard, sans cause assignable, mais il demeurait l’agent du libre-choix»... D'autres "distordus" contribuent à peupler ce récit glacial et épouvanté mené avec un art clinique du fragment et un refus impressionnant de tout pathos: Don DeLillo met notamment en scène les terroristes eux-mêmes: " Poussière que tout cela, dit l'un d'eux. Voitures, maisons, individus. Simples atomes de poussière dans le feu et la lumière des jours à venir"...

Et puis il y a bien sûr cette silhouette emblématique qui donne son titre au livre, cet artiste costumé qui s'amuse à se jeter du haut de plusieurs édifices, accroché à un harnais, comme pour rappeler les victimes qui se jetaient du haut des tours du World Trade Center et que la télé n'a jamais montrées. Dans l' art de la chute, qu' elle soit originelle ou finale, "L'Homme qui tombe" atteint dés lors les dimensions d'un pur chef d' oeuvre, spectral et désincarné en apparence, mais dont la puissance stylistique, politique et existentielle parvient à cerner au plus près l'indicible.

L'Homme qui tombe, de Don DeLillo (Actes-Sud)

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