Mercredi 6 novembre 2024 par Laurent Sapir

Les Misérables de Jean-Paul Le Chanois en version DVD

Alors que le Théâtre du Châtelet s'apprête à proposer une nouvelle version des Misérables en comédie musicale, Pathé ressort en version restaurée la plus injustement mal-aimée des adaptations du célèbre roman d'Hugo.

 

"La rédemption, c'est sur terre qu'elle s'accomplit ", écrit le réalisateur Jean-Paul Le Chanois (1909-1985) dans un texte de la revue Europe paru en 1962 sous le titre : "Pourquoi j'ai tourné Les Misérables". Fidèle à sa fibre sociale, ce compagnon de route du PCF semble avoir encore dans la gorge l'accueil désastreux réservé quatre ans plus tôt à son adaptation du célèbre roman de Victor Hugo. Le public a répondu présent, certes, mais dans une sorte de réflexe pavlovien pré-Nouvelle Vague, les critiques de l'époque ont hurlé à l'unisson contre le "cinéma de papa", réduisant Le Chanois à un médiocre exécutant perclus d'académisme.

Flagrante injustice que Pathé contribue à réparer en sortant en DVD et Blu-Ray ces Misérables en deux parties. On y retrouve une patte, une ampleur et un esprit enrobés d'une distribution d'enfer. La rédemption effectivement, d'après Le Chanois, ne relève pas du divin. Avec le concours de René Barjavel, il contourne la dimension mystique de la prose hugolienne pour mieux rendre compte de la radicalisation politique de l'écrivain et poète. Son Jean Valjean n'est plus ce bienfaiteur quelque peu surhumain dont la générosité hors pair semble en permanence communier avec on ne sait quel au-delà. C'est d'abord un homme du peuple, et il a le visage de Jean Gabin.

Ce dernier craignait-il au nom de sa propre "force de vérité" les aspects trop héroïques de son personnage, comme l'écrit le réalisateur dans son texte de 1962 ? Moins "imprégné", semble-t-il, qu'Harry Baur et Lino Ventura dans les versions respectives de Raymond Bernard (1934) et Robert Hossein (1982), Gabin n'en est que plus vrai. De quoi accentuer le contraste avec ce que Bourvil fait de Thénardier. Alors que Charles Dullin en exhalait la jubilation cynique et Jean Carmet la noirceur dépressive, Bourvil donne plutôt à voir un aubergiste d'autant plus inquiétant qu'il se confond dans le farcesque et le sardonique. Du Hugo pur jus d'une certaine manière, celui notamment qui mélange le grotesque et le tragique dans Cromwell comme le note à juste titre dans les bonus du DVD Arnaud Laster, spécialiste de l'auteur des Misérables.

Déjà trop sous la coupe d'un Gabin qu'il allait retrouver à de multiples reprises, le Javert de Bernard Blier souffre davantage de la comparaison avec les impassibles Charles Vanel et Michel Bouquet tenant tête respectivement à Baur et Ventura. Le scénario lui ménage également quelques épisodes peu probants -la traque dans l'auberge de Montfermeil, par exemple- qui n'existent pas dans le roman originel. Même bémol autour de la Fantine de Danielle Delorme. Les héros des barricades, en revanche, crèvent l'écran, tout comme cette partie du roman dont la mise en scène restitue la force épique en format technicolor. Cela vaut autant pour Giani Esposito en Marius, Jimmy Urbain dans la peau de Gavroche et Serge Reggiani qui donne à Enjolras son visage définitif.

Et puis il y a Éponine... Sans faire injure à Oriane Demazis dans la version de 1934 et à Candice Patou dans celle de 1982, l'incarnation qu'en donne Sylvia Monfort reste à jamais dans les esprits. Dans le rôle de la fille Thénardier qui se sacrifie pour celui qui n'a jamais daigné la regarder, la comédienne offre un mix vibrant entre son passé de fille du peuple entrée très jeune dans la Résistance et la flamme des grandes héroïnes tragiques qui a souvent irrigué son art sur scène. "Mieux que l'innocente et passive Cosette j'aimais l'étrange Eponine ", écrira Jean-Paul Le Chanois dans son plaidoyer post-Misérables. Et le réalisateur d'ajouter: "Elle me donnait de la liberté une idée plus exaltante que la République de Delacroix qui montre ses seins sur la barricade. Et il me fut bien doux, plus tard, de lui donner le visage de Silvia Monfort."

Les Misérables, Jean-Paul Le Chanois. Sortie en DVD-Blu Ray chez Pathé. Coup de projecteur, sur TSFJAZZ, le lundi 18 novembre (13h30) avec Arnaud Lister, spécialiste de Victor Hugo.