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Les Mains sales

Le dimanche 24 mai 2009, par Laurent Sapir

Daté, le théâtre de Sartre ? Comme à-propos de la mort de Marx, on serait tenté de répondre: "Mon oeil!"... On sait bien que lorsque il écrit "Les Mains sales ", en 1948, Jean-Paul Sartre doit composer avec un PCF au sommet de sa puissance, et en plus en pleine guerre froide D'ailleurs à l'époque, les "camarades" ne sont pas tendres avec le philosophe. La fin justifie t-elle les moyens ? Jusqu'où une organisation révolutionnaire peut-elle aller dans le compromis ? Faut-il forcément se salir les mains pour aller dans l'intérêt des gens qu'on prétend défendre ? Parce qu'il pose ses questions, Sartre est cloué au pilori. On aurait sans doute du regarder de plus près ses réponses, à l'époque, surtout quand quelques mois plus tard, avec "Les Justes ", Albert Camus, le frère ennemi, livre sur la même problématique une pièce radicalement plus anti-stalinienne et carrément plus manichéenne.

"Les Mains sales ", "Les Justes "... J'étais en première, et j'étudiais les deux pièces en parallèle. A 15-16 ans évidemment, c'est Camus et son ultra-romantisme douloureux qui me faisaient flamber de l'intérieur. A 15-16 ans, j'étais comme les communistes des années 40-50: je ne voyais pas trop où il voulait en venir, Sartre, avec son drôle de face-à-face entre Hugo, le révolutionnaire idéaliste incapable de mener à bien la mission qu'on lui a fixée, et Hoederer, l'adepte de la realpolitik dont l'individualisme n'est pas loin, parfois, de rimer avec cynisme... Je me souviens quand même des derniers mots de la pièce, lâchés par le personnage d'Hugo face à son destin : "Non récupérable ! "... Ça, au moins, quand on est ado, ça marque...

Et nous voilà désormais dans un autre siècle: théâtre de l'Athénée-Louis Jouvet ( Jouvet qui, au passage; a monté plusieurs pièces de Sartre), mise en scène Guy-Pierre Couleau, que je ne connais pas. Lui aussi, il va monter en parallèle "Les Mains sales " et "Les Justes "... En attendant, il est bien l'homme de la "situation ", pour reprendre un concept sartrien. Sans emphase, sans trop d'orgueil non plus, le metteur en scène nous rappelle que "Les Mains sales " relève d'abord du théâtre d'action. Du punch ! du suspense ! Guy-Pierre Coleau va chercher du côté d'Hitchcock et de Michel Audiard pour imprimer à la pièce un rythme impeccable, avec en bonus une musique aux accents jazzy.

À l'époque, Hoederer était joué par Pierre Brasseur et Hugo par François Périer... Le Hoederer de 2009 est plus "ascétisé " et c'est tant mieux. Hugo, lui, est un peu plus benêt, c'est dommage. Périer le défendait mieux. Mais ce sont les deux personnages féminins finalement qui retiennent le plus l'attention, surtout Jessica, la jeune femme d'Hugo qui soi-disant ne comprend rien à la politique mais qui en réalité a tout compris de la vie...

La pièce, en tout cas, résonne bien autrement maintenant que les communistes ont cessé de persécuter Sartre. Hugo, il a des airs de Besancenot... Il dit qu'il est au côté des plus pauvres, mais il ne veut jamais mettre les mains dans le cambouis. Hoederer, il est peut-être trop porté vers le compromis, mais lui au moins il a les pieds sur terre, et il pense plus à l'efficacité de ses actes qu'à la pureté de sa conscience.  "Les Mains sales " traite également de dépucelage idéologique, et ça, en 2009 comme en 1948, ça nous parle gravement. Sauf peut-être aux dîneurs en ville qui vous susurrent à longueur de colonnes ou au coin de l'oreille, repus dans leurs oeillères Fouquet's ou gauche caviar : "Vous ne trouvez pas ça un peu daté, le théâtre de Sartre ? "...

Les Mains sales, de Jean-Paul Sartre. Mise en scène Guy-Pierre Colleau. Théâtre de l'Athénée-Louis Jouvet, à Paris, jusqu'au 30 mai.

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