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Les larmes amères de Petra von Kant

Le lundi 16 mars 2015, par Laurent Sapir

Avouons-le, on avait un peu peur de patauger dans ces larmes amères zoomées autrefois par un célèbre réalisateur allemand. La doxa "fassbinderienne" avait tranché, et plutôt dans le vif: Valéria Bruni-Tedeschi, sa maman, les quatre autres donzelles du sextette offert sur scène, et surtout le metteur en scène, Thierry de Peretti (dont on n'a pas oublié le fantastique Richard II en 2004)...  Traînés au bûcher par deux ou trois critiques assassines, on les voyait déjà nous assommer de facilités, de branchitude et d'ennui.

Le résultat est pourtant plus qu'honorable, aussi bien dans le caractère cash de ce qui se joue sur le plateau que dans la distance et l'ironie qui vernissent la représentation. Petra von Kant traite donc sa mère de pute, ce qui n'empêche pas Marisa Borini, sa génitrice sur scène comme dans la vie, d'entrer dans la peau de ce personnage avec beaucoup d'élégance. Petra von Kant maudit également sa fille et trouve que tous les hommes puent. La bourgeoise classos esquissée d'entrée de jeu va ainsi céder aux poisons de l'âme et de la subversion après s'être éprise d'une jeune prolo aguichante qui lui en fait voir de toutes les couleurs.

C'est du Fassbinder, mais on pense aussi à Koltès (que Thierry de Peretti a déjà monté à plusieurs reprises) dans l'incarnation d'un monde dénué d'amour parce que soumis à l'animalité du désir. Cette furie non-maîtrisable, Valéria Bruni-Tedeschi la propulse dans ses recoins les plus violents, transformant les larmes amères en larmes sauvages sur fond de playlist tour à tour pop, électro et vintage made in Germany... Larmes de classe, également, au miroir félin et mutique d'une domestique (jouée tout en hypnose par Lolita Chammah) qui toise la maîtresse de maison et subit en même temps ses humeurs.

Ce duo fascine, plus encore, peut-être, que celui des deux amantes. Et si, emporté par le mélo trash, on se prend éventuellement à rêver à quelque chose de plus délié, de plus mystérieux et de moins hétérogène dans l'interprétation, il serait dommage de bouder son plaisir au regard de l'oxymore théâtral qui embrase le plateau, à savoir cette vitalité mortifère se déployant dans un décor faussement bourgeois (on est dans un théâtre privé, après tout...) avant de se détraquer et de faire place à la salissure. Pas sûr, dés lors, que ce cher Rainer Werner n'y retrouverait pas l'esprit qui était le sien dans un autre siècle.

Les larmes amères de Petra von Kant, Thierry de Peretti, au Théâtre de l'Oeuvre.

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