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L'enlèvement

Le mercredi 20 septembre 2023, par Laurent Sapir
Ma mère, cette héroïne... Au gré de ses souvenirs d'enfant et de ses fulgurances d'historien, Grégoire Kauffmann raconte le combat de Joëlle Kauffmann-Brunerie pour faire libérer son mari, Jean-Paul Kauffmann, et ses camarades de captivité au Liban au milieu des années 80. Un récit aussi ample que vibrant.

Quand une passionaria se laisse aller... "Je ne te cache pas que certains soirs, parfois, il y a du rimmel qui coule sur l'oreiller ", écrit Joëlle Brunerie-Kauffmann un an après l'enlèvement à Beyrouth de son mari, le journaliste Jean-Paul Kauffmann. Impossible d'oublier cette sensibilité nimbée de pugnacité. Elle a tant remué nos cœurs d'il y a presque 40 ans lorsque chaque soir, à la fin du journal de France 2, surgissaient le même message et les mêmes visages amaigris (Jean-Paul Kauffmann, mais aussi Michel Seurat, mort en captivité, ainsi que les diplomates Marcel Carton et Marcel Fontaine) avec la date comme seul curseur: "Aujourd'hui samedi 29 Mars 1986, les otages français au Liban n'ont toujours pas été libérés "...

Elle a ainsi été pendant trois ans sur la brèche, Pénélope vaillante dont les engagements, notamment comme gynécologue pour le droit à l'IVG, remontent en vérité bien avant l'épreuve qu'elle a subie. Joëlle Brunerie-Kauffmann méritait bien le récit que lui consacre son fils, Grégoire Kauffmann, à travers un vibrant grand mix entre portrait de femme, souvenirs d'enfant et "coupe transversale sur les mentalités et les sensibilités " de toute une époque. L'absence du père est évidemment présente, si on peut dire, mais ce livre n'est pas le creusement d'un trauma. En exhumant les archives du comité Kauffman enfouies dans un vieux coffre familial, l'ex-fils d'otage révèle surtout ses propres fulgurances d'historien. Ça tombe bien. C'est son métier.

Il est vrai qu'à travers les lettres, les tracts ou encore les appels à manifester, ce n'est pas seulement Joëlle la battante qui est à l'œuvre. Un réseau émerge également, ancré dans les réalités politiques de l'époque. Celle des affrontements Mitterrand-Chirac bien sûr, ou du combat face à une certaine morgue ministérielle dont Roland Dumas aura été l'édifiante incarnation ("Du caillou dans sa bottine Berluti, certes insistant et désagréable, ma mère va vite devenir pour le ministre un crampon suppliciant "), mais aussi la réalité d'une gauche que Grégoire Kauffmann observe avec un regard parfois acide. Cette gauche est en fait de moins en moins à gauche. Elle ne jure plus que par Bernard Tapie, elle camoufle ses renoncements avec la petite main de SOS Racisme et la "génération morale" inventée par un éditorialiste social-libéral. C'est dans ce milieu que Joëlle Kauffmann-Brunerie et ses amis évoluent, réactivant des codes de mobilisation déjà si efficaces dans le passé, quand on rêvait encore aux lendemains qui chantent.

L'épouse de Jean-Paul Kauffmann oscille elle-même dans ce nouvel air du temps, faisant des pieds et des mains pour inscrire son gamin au collège-Henri-IV aux côtés d'autres "fils de..." (Une "fille de", également, puisqu'il côtoie une certaine Mazarine Pingeot...). Dans les fameuses archives, Grégoire Kauffmann retrouve ainsi tout le courrier que sa mère recevait alors de la très droitière PEEP, elle qui militait autrefois avec les parents d'élèves de la FCPE. Il est question en même temps de fidélité dans ce récit. Bien qu'elle ne soit en rien encartée, Joëlle Kauffmann-Brunerie s'est souvent affichée avec les communistes, même quand le Titanic coulait avec Georges Marchais, et le PCF ne l'a jamais lâchée, y compris lorsque certains commençaient à critiquer une trop grande surexposition médiatique.

En faisait-elle trop, la mère courage, et cette surmobilisation pour son mari n'a-t-elle pas paradoxalement freiné le processus de sa libération ? Si ces questions traversent l'ouvrage, elles sont surtout propices là encore à de singuliers effets miroirs au regard de ce qu'était alors la société française. Cherchant des références familières à l'irruption si singulière de la "femme d'otage" sur la scène publique, des anciennes fiancées ou épouses de prisonniers de guerre entre 1940 et 1945 abreuvent de lettres le "comité Kauffmann", ou bien pour témoigner de leur solidarité au nom de souvenirs douloureux, ou alors pour dire leur exécration parce que Joëlle Kauffmann-Brunerie "bouscule le topo de l'épouse qui compte les jours et souffre en silence ". On l'aura compris, L'Enlèvement est aussi un beau cri du cœur féministe, avec en renfort de vraies qualités d'écriture.

L'Enlèvement, Grégoire Kauffmann (Flammarion). Coup de projecteur avec l'auteur ce jeudi 21 septembre, sur TSFJAZZ, à 13h30.

 

 

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