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La Zone d'intérêt (Jonathan Glazer)

Le mercredi 31 janvier 2024, par Laurent Sapir
Auschwitz et son jardin si coquet... Bien loin du puissant roman dont il n'a même pas fait semblant de s'inspirer, Jonathan Glazer signe, avec "La Zone d'intérêt", un dispositif qui s'étiole assez rapidement.

Comme un parfum d'eau de rose mélangé à de la chair brûlée... Lorsqu'il publie en 2015 La Zone d'intérêt, récit halluciné d'un coup de foudre, ou plutôt d'un vaudeville en plein cœur d'Auschwitz, Martin Amis innove radicalement dans la représentation de la Shoah. Adieu les esthètes névrosés de Jonathan Littell dans Les Bienveillantes. En guise de "banalité du mal ", l'auteur britannique préfère plutôt mettre en avant des bouffons, des arrivistes et autres bellâtres ridicules imbus d'eux-mêmes. Entre le commandant de camp, sa femme et l'amant de cette dernière, un marivaudage aussi pathétique que sidérant se déploie au milieu des fours crématoires, sous le regard façon Primo Levi d'un déporté, membre des Soderkommandos. 

Trop fort, ce récit, pour survivre à son adaptation cinématographique ? Martin Amis, ça ne s'invente pas, est mort le jour où son compatriote cinéaste, Jonathan Glazer, a présenté à Cannes sa propre version de La Zone d'intérêt, laquelle n'a plus grand chose à voir avec le roman originel. De fait, tout ce qui grinçait sous la plume de Martin Amis a laissé place à un aplat glacial (tonalité jugée plus cinégénique, visiblement...) et invertébré, dans la droite lignée du déjà surestimé Under The Skin.

Et c'est parti pour le chant des oiseaux, le jardin coquet et la si "touchante" vie domestique de Rudolf Höss, rebaptisé ici de son vrai nom, et de son épouse, Hedwig, que son mari désigne "reine d'Auschwitz " et à laquelle Sandra Hüller prête une silhouette bien plus abstraite que dans Anatomie d'une chute. Les sourires radieux de leurs quatre enfants et le personnel de maison ne sont pas de trop pour rendre leur vie idyllique, même si seul le spectateur semble entendre et apercevoir, au loin, les chiens qui aboient et les cheminées qui crachotent la mort.

Le dispositif a beau faire d'emblée son petit effet, telle la fleur rouge-sang sur laquelle s'attarde la caméra, il épuise rapidement ses attraits. "Zone de désintérêt " croissant, en vérité, comme si Glazer ne savait pas trop quoi faire de ses chromos au cordeau et de ses cadrages livides. Dans ce qui peut par ailleurs s'apparenter à un saut en arrière, il en arrive même à redonner au personnage masculin principal cette physionomie d' "esthète névrosé" dont Martin Amis voulait tant se débarrasser.

Lové dans son esthétique languissante, le film s'éloigne également de toute l'énergie qui transfigurait l'autre grand film contemporain sur la Shoah, Le Fils de Saul, pourtant doté d'une mise en scène aussi obstinée. On peut rappeler à ce propos ce qu'en disait alors le philosophe Georges Didi-Huberman "Tout y est en mouvements, en urgences, en passages de l'indistinct au distinct et retour ". "Ces mouvements, ajoutait-t-il, semblent conçus pour suivre la peur dans sa course, excluant toute esthétique du tableau et du plan fixe". Esthétique du tableau et du plan fixe... Critique prémonitoire de La Zone d'intérêt ?

Reste l'ultime tentative, ce long raccord qui tente de faire le lien avec le présent, nous transportant soudainement dans le musée-mémorial de l'ancien camp nazi. C'est dire à quel point, comme le souligne si justement Josué Morel dans Critikat, Jonathan Glazer aura, du début à la fin, "filmé la Shoah comme une installation ".

La Zone d'intérêt, Jonathan Glazer, Grand prix du jury à Cannes (Sortie en salles ce mercredi 31 janvier)

 

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