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La vie en jeu/une biographie de Vladimir Maïakovski

Le lundi 08 novembre 2010, par Laurent Sapir
Pourquoi les Russes, qui adorent tant la poésie, ont-ils été si durs envers leurs poètes ? Pourquoi[...]
Pourquoi les Russes, qui adorent tant la poésie, ont-ils été si durs envers leurs poètes ? Pourquoi tant de suicides, d'exécutions, d'agonies physiques ou spirituelles? Jean-Baptiste Para, rédacteur en chef de la prestigieuse revue littéraire "Europe", que je rencontre à l'occasion de la remarquable biographie de Vladimir Maïakovski que vient de faire paraître un auteur suédois, Beng Jangfeldt, paraît de prime abord bien embarrassé face à cette contradiction... Il n'a pas envie de faire cracher à l'âme russe tous les clichés dont elle est abreuvée depuis des siècles... Il lui suffit en même temps de rappeler deux éléments historiques, deux différences fondamentales entre la Russie et l'Occident, et qui éclairent sans doute la tragédie des rapports, là-bas, entre l'artiste et le pouvoir. Les Russes, d'après mon invité du coup de projecteur de ce mardi 9 novembre sur TsfJazz,  n'ont pas connu, comme nous, la Renaissance. Ils n'ont pas vécu cette époque où l'homme est soudainement magnifié comme sujet, comme individu, et plus tard comme citoyen...  Les Russes n'ont pas bénéficié non plus de cette notion de purgatoire que l'Occident crée en pleine époque médiévale... Ce n'est pas seulement une affaire de religion. Le Purgatoire, c'est une zone de nuances entre l'Enfer et le Paradis. C'est la naissance, pour la première fois, de quelque chose qui a trait au compromis, à la possibilité d'échapper, enfin, aux extrêmes... Or, il n'y a pas de purgatoire dans la religion orthodoxe russe, et peut-être que Maïakoviski est mort de cela... Ou peut-être est-il mort de l'insurrection perdue contre le byt... Le mot est intraduisible en français. Le byt, c'est la torpeur de la vie quotidienne, le confort petit-bourgeois, le fait de vivre à bas régime dans une sorte de cocon ou de cocooning qui interdit  toute exaltation, tout dépassement de soi... Le byt, c'est peut-être aussi une sorte de purgatoire... Quand Vladimir Maïakovski se suicide à 36 ans, un jour d'avril 1930, à l'aube de la terreur stalinienne, il s'incline, pour ainsi dire, face au byt... Existentiellement parlant, déjà, le poète le plus lyrique de la révolution bolchévique se sent incapable de vieillir... Amoureusement, il n'est pas non plus au mieux de sa forme... Sa muse d'autrefois, la fascinante Lili Brik (soeur d'Elsa Triolet, future compagne d'Aragon), avec laquelle il partageait le même toit alors qu'elle vivait maritalement avec un autre homme tout en collectionnant de multiples amants, s'est éloignée progressivement... Politiquement, enfin, Maïakovski est au bout du rouleau... Lui qui a tant donné à la Révolution, sans pour autant lui subordonner la force de l'âme ("Les révolutions ébranlent le veau d'or des empires, on change de bouviers dans le troupeau des hommes, mais toi, souverain non couronné des âmes, aucune émeute ne t'émeut !" ), s'épuise des tracas divers et variés que les patrons du Kremlin lui infligent... Lénine, de toute façon, n'apprécie pas trop les utopistes... Ce n'est qu'à la faveur d'un texte de Maïakovski contre les bureaucrates qu'il consent à lui envoyer un compliment, tout en laissant l'Encyclopédie soviétique taxer le poète d'anarchiste individualiste dont les écrits seraient par essence petit-bourgeois... Mais plus fondamentalement, c'est encore une fois le triste byt, la routine déjà un peu massacreuse, la torpeur post-léninienne, le premier triomphe des médiocres, qui rattrapent la Révolution russe, et c'est cela que Maïakovski ne supporte plus... Après sa mort, Maïakovski disparait des écrans... Il faudra une lettre de Lili Brik à Staline pour que ce dernier décide soudainement d'ériger le poète en icône officielle, pour le meilleur et surtout pour le pire... Le voilà figé, glacé, statufié... Lorsque c'est l'URSS qui a son tour disparaît, on expurge à nouveau Maïakovski des manuels scolaires... Il reste encore, aujourd'hui, sa statue à Moscou ainsi que d'absurdes rumeurs comme quoi il ne se serait, non pas suicidé, mais aurait été assassiné... Le poète n'a pas besoin de tel délires, ni même d'être embaumé... Le relire, simplement, où alors se plonger avec passion et larmes dans la biographie qui lui est consacrée, suffit à le rendre à la mère Russie dont il fut le meilleur des fils... "La Vie en Jeu, une biographie de Vladimir Maïakovski", de Bengt Jangfeldt (Albin Michel) Coup de projecteur sur TsfJazz, ce mardi 9 novembre, avec Jean-Baptiste Para, rédacteur en chef de la revue "Europe" (8h30, 11h30, 16H30)
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