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CHRISTOPHE MARGUET

La Dernière Corvée en DVD

Le lundi 17 juin 2013, par Laurent Sapir

Un marin qui marine, cela n'a rien de très maritime. La preuve avec Jack Nicholson qui végète comme un rat mort dans sa base de l'US Navy au début de "La Dernière Corvée" ("The Last Detail"), de Hal Ashby. L'acteur s'est fait un look de Popeye, mais un Popeye fissuré de partout. Trop rigolard pour ne pas être au bord du désarroi. Trop teigneux pour ne pas laisser échapper mélancolie et désenchantement. Il attend son affectation, notre marin... Sans doute au Viet Nam vu que le film date de 1973.

En attendant, le voici astreint à une corvée bien ingrate puisqu'il s'agit pour Nicholson d'escorter, avec l'un de ses collègues, un jeune troufion jusqu'à une prison militaire où le gamin doit purger une peine suite à un vol d'argent. Washington, New-York, Boston... Entre les deux durs à cuir et leur prisonnier à peine pubère les relations sont d'abord très froides, mais vu qu'il fait aussi très froid à l'extérieur et que les températures ne cessent de dégringoler au fur et à mesure que ces trois là se rapprochent de la prison, il y a comme du réchauffement dans l'air...

C'est là où "La Dernière Corvée" nous étreint peu à peu. Au départ, on a l'impression d'une vadrouille de pieds nickelés rythmée par une musique militaire un peu ridicule. A l'arrivée, les désillusions se sont imprimées sur les corps et les visages au gré d'un road-movie hivernal et liquéfié de l'intérieur. Bagarres, beuveries, rencontre avec des hippies qui eux-mêmes n'y croient plus, séance épique au bordel... C'est la loose finale, avec en point d'orgue un pique-nique désespéré sous la neige. Les trois marins n'ont même pas de pain pour enrober leur hot-dog !

Le film ressemble à son réalisateur. Cheveux longs, barbe poussiéreuse, défoncé à la marijuana et plus ou moins caractériel selon les périodes, Al Ashby (1929-1988) était le clochard céleste du Nouvel Hollywood. Coppola et Scorsese étaient beaucoup mieux sapés que lui. Il n'empêche que ses nonchalants fondus enchaînés dans "La Dernière Corvée" résumaient avec grandeur son goût de la liberté et son refus poignant d'une Amérique obligée de marcher au pas.

"La Dernière Corvée", de Hal Ashby (Sortie en DVD chez Wild Side ce 19 juin en même temps que "The King of Marven Gardens", de Bob Rafelson, toujours avec Jack Nicholson). Coup de projecteur sur TSFJAZZ (12h30), ce jeudi 20 mai, avec Frédéric Mercier, critique à la revue "Transfuge" et collaborateur des "Cahiers du Cinéma", à qui ce texte doit énormément...

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