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Kind of blue: le making of du chef d'oeuvre de Miles Davis

Le mercredi 30 septembre 2009, par Laurent Sapir

Le voici donc enfin traduit en français, ce fameux making of de Kind of Blue transformé depuis une bonne dizaine d'années en ouvrage de référence pour tous les fans de Miles Davis... Il est vrai que l'auteur du livre, Ashley Kahn, a bénéficié d'un privilège inouï en ayant accès aux fameuses band master des deux célèbres  séances de l'an 59.

Et là, première surprise : le journaliste se rend compte que contrairement à la légende, le disque n'a jamais fait l'objet d'une seule prise ininterrompue pour chaque titre... C'est vrai qu'à l'exception du morceau espagnol, "Flamenco Sketches ", on n'y trouve guère de prises alternatives. Il y eut, en revanche, lors de ces deux séances, des faux départs, quelques fausses notes aussi, et même une fin de morceau, "Freddie Freeloader " en l'occurrence, qui fut rejouée par le sextet et qui  aurait pu être gravée pour l'éternité si Miles n'avait pas finalement préféré la version originale.

C'est ce "work in progress " qui se dévoile au lecteur. On y retrouve évidemment un Miles Davis très économe en indications, et même temps très cool avec ses musiciens, notamment avec Paul Chambers dont la contrebasse  avait parfois tendance à s' embroussailler dans les buissons ardents du nouveau jazz modal. Autre moment savoureux, lorsqu'à la fin d'un morceau, Miles, apparemment très satisfait de lui, se met à chambrer Irving Townsend, co-producteur du disque avec Teo Macero... "C'est nul, Irving...", ironise Miles... Et Townsend qui rétorque: "Ne te bile pas pour ça "...

Ce making of fourmille encore de plein d'autres moments forts... Les silences et la concentration de Coltrane, la méfiance de Cannonball Adderley face aux sortilèges d'un Bill Evans soupçonné de ne pas assez accompagner la section rythmique, ou encore le coup de sang de Wynton Kelly, crédité du seul "Freddie Freeloader ", et qui manque de tomber par terre lorsque débarquant au studio, il voit un autre pianiste à sa place. On trouvera aussi un chapitre mémorable sur le marketing mis en place pour vendre le disque, sachant que Miles Davis n'était plus trop présent à ce moment là, ce qui devait amener ce pauvre Teo Macero à imiter la voix du trompettiste sur une bande magnétique lors d'un séminaire réunissant les commerciaux de Columbia.

On l'aura compris : Ashley Kahn est un enquêteur hors-pair. Mais on adore également sa sensibilité et sa façon à lui de signifier que Kind of Blue n'a pas été une bombe au moment de sa sortie et que c'est finalement de manière très sereine, très douce, comme dans le disque, que le jazz a ouvert, il y a 50 ans, au printemps 1959,  une nouvelle page de son histoire... Bill Evans le  disait déjà à sa manière, dans le seul paragraphe de ses fameuses notes de pochette à ne pas avoir été utilisé: "Peut-être que ceux qui savent écouter, écrivait-il, trouveront dans ce disque quelque chose qui va au-delà de la contemplation"...

Kind of Blue, le making of du chef-d'oeuvre de Miles Davis, par Ashley Kahn (Editions Le Mot et le Reste)

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