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EARL HINES

John Zorn, Montréal, juillet 2010...

Le samedi 03 juillet 2010, par Laurent Sapir

Des "boooouh !" dans la salle, des rangées entières qui se vident, 300 spectateurs qui se précipitent au guichet pour se faire rembourser leur billet et pour finir un saxophoniste survolté ponctuant la bronca ambiante par un " go fuck yourself out !" qui connaîtra peut-être, dans les annales montréalaises, la même postérité qu'un certain "Vive le Québec libre !" harangué en d'autres temps... On l'aura compris : la légende de John Zorn a franchi un palier supplémentaire ce 2 juillet 2010, au 31ème festival international de jazz de Montréal, lorsque le saxophoniste a mené un véritable "bal des vampires" au côté de Lou Reed, l'ex-star du Velvet Underground, et de sa compagne, la violoniste Laurie Anderson...

C'était l'Apocalypse selon St John... Un vrai trip de sonorités à fois  distordues et planantes, une mélopée distillée sous électrochoc, une procession pour zombies hypnotisant l'oreille lorsqu'elle veut bien s'y montrer attentive... Lou Reed semblait, certes, un peu plouc dans cet ersatz de bacchanales... A part changer de guitare toutes les 10 minutes et faire joujou avec ses pédaliers, on avait  du mal à discerner son rôle exact. Quelle magie, en revanche, dans l'archet de Laurie Anderson, notamment à travers l'apport, peut-être à son insu, de traits plus mélodiques auxquels John Zorn offre un contrepoint lucifèrien : ce n'est plus un sax qu'il a en main, mais plutôt une bestiole spasmophilique, tantôt tronçonneuse hurlante, tantôt vuvuzela sanguinolente...

On ne choisira pas entre ce Zorn là et celui qui, la veille, nous a ensorcelé sur le mode marathon en reprenant dans toutes ses largeurs et ses couleurs le songbook de Masada, ce répertoire "d'inspiration sémite", comme le dit très "élégamment" la presse montréalaise... On ne tombera pas dans le cliché du Mister Hyde que John Zorn semble receler en lui quand il s'abandonne à des sonorités plus violentes... L' "Electric Masada" qui ponctuait son concert de l'autre soir était tout aussi déchaîné que ses humeurs au contact du couple Reed/Anderson...

Comme le disait Clémenceau au sujet de la Révolution Française, il faut prendre John Zorn d'un seul bloc, l'apprécier aussi bien comme l'aventurier avant-gardiste qui fouaille ce qu'il y a de plus ténébreux dans l'underground new-yorkais que comme un passeur dont l'art de la ciselure rend le jazz accessible aux profanes les plus revêches, ne serait-ce qu'à travers les douces envolées de "Dreamers", sa formation la plus enchanteresse... Au final, quelque soit son registre, voilà un musicien du 21ème siècle pleinement épanoui, au coeur de cette radical jewish culture désormais ancrée comme un courant majeur du jazz contemporain, et qui a décidé d'aller jusqu'au bout de son identité, procédant exactement de la même manière que les légendes afro-américaines avec la "Great Black Music"...

John Zorn à Montréal, 1er et 2 juillet 2010.

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