Vendredi 21 février 2025 par Laurent Sapir

Je serai toujours là pour te tuer

Une fois signé ce type de contrat, mieux vaut ne pas trinquer à la santé de l'autre... Sophie Tonneau propose à La Folie Théâtre une pièce aussi corrosive que jubilatoire.


Je serai toujours là pour te soutenir et pour te protéger... ou pour te tuer ! N'a-t-il pas déjà fière allure, le titre de cette pièce, Je serai toujours là pour te tuer, telle une déclaration jouant sur la contradiction entre "toujours" et le verbe qui suit, aussi irrévocable que fatidique ? On pourrait prolonger le procédé au niveau de notre ressenti: voilà un texte qui grince, mais qui grince délicieusement, subrepticement, amoureusement... Bref, un bonheur de scène grâce à deux interprètes au summum de leur interaction, Sophie Tonneau et Yves Coméliau, avec en renfort la jolie version de What A Diff'rence a Day Makes par Sarah Vaughan.

L'amour à mort, donc... Helen, qui est allée s'embourber à la campagne alors qu'elle a déjà le moral à zéro, se décide à engager Simon, globe-trotter au long cours, afin qu'il abrège son existence. Le tueur désigné devra cependant agir avec précaution: d'abord ne pas prévenir sa victime au moment du passage à l'acte, tout en lui réservant le plus doux des trépas. Sauf qu'une fois le contrat paraphé ("-Vous avez signé ? Parfait. - A votre santé. - Ne faites pas d’ironie...), ça se corse: tous comptes faits, Helen n'est plus trop pressée de mourir, et elle ne dirait pas non à un petit sursis d'une semaine... surtout aux côtés d'un si charmant tueur à gages.

Sophie Tonneau, qui joue Helen et à qui on doit ce texte écrit il y a longtemps mais qui a retrouvé une nouvelle jeunesse l'été dernier à Avignon, nous régale avec un jeu expressionniste qui ne perd jamais l'émotion en route. Elle fait vibrer à travers Helen une rage de vivre d'autant plus intense qu'elle se nourrit paradoxalement de pulsions suicidaires. Yves Coméliau lui donne la réplique avec un art remarquable du contrepoint, laissant peu à peu entrapercevoir les fêlures de son personnage et son envie de se poser quelque part pour trouver peut-être l'âme sœur qui lui fait défaut.

Quant aux dialogues, tour à tour ciselés et tordants, ils constituent l'écrin rêvé de ce pas de deux, avec un humour noir qui emprunte autant à la tradition britannique qu'au style de Bertrand Blier. On ne se lasse pas notamment de ce passage où Simon conseille à Helen de se montrer "détendue et reposée" pour mourir car "il y moins de risque de complications". Orchestrée par la mise en scène toute en finesse de Catherine Perrotte, notamment lorsqu'il s'agit de suggérer le passage du temps dans un récit évoluant sur plusieurs années, la pièce offre aussi de beaux moments de poésie.

Crédits photo: Irina Japaridze

Je serai toujours là pour te tuer, de Sophie Tonneau, à La Folie Théâtre, Paris 11e, les vendredi, samedi et dimanche à 20h, jusqu'au 6 avril. Coup de projecteur avec l'autrice et comédienne sur TSFJAZZ, ce jeudi 27 février (13h30)