Vendredi 15 novembre 2024 par Laurent Sapir

Grand Tour

"Grand Tour" ou l'envoûtant carnet de voyage post-colonial de Miguel Gomes dans une Asie fantasmée... Prix de la mise en scène au dernier Festival de Cannes.

 

Comment ne pas craquer pour Molly, irrésistible cavaleuse à la poursuite de son homme, un jeune fonctionnaire de l'empire britannique qui s'est soudainement fait la malle en 1918 depuis Rangoon, en Birmanie, alors même que les deux fiancés étaient sur le point de se marier ? Face à pareille goujaterie, la jeune femme, magnifiquement incarnée par Crista Alfaiate, n'a pas l'intention de jouer les victimes. C'est d'abord un personnage fantasque, presque burlesque. Elle ne cesse de pouffer (un peu comme la Jeanne du Barry de Maïwenn, mais en moins ridicule...), opposant son rire à l'absurdité d'une odyssée qui a pourtant peu de chance de virer au happy end.

De quoi nous placer définitivement sous le charme de Grand Tour, prix de la mise en scène au dernier Festival de Cannes, même si son personnage féminin n'irrigue que la seconde partie du film, la première étant consacrée à l'errance du fiancé. L'ensemble reste en même temps formidablement envoûtant, au diapason du périple imaginé par Miguel Gomes dans cette Asie coloniale dont les mécanismes de domination sont suggérés plus que surlignés. De la Birmanie au Japon, en passant par le Vietnam, les Philippines et la Chine, le réalisateur portugais décline son propre India Song et recrée tout un monde en studio au gré d'un splendide noir et blanc qui relève à la fois du songe, de la mélancolie et du sortilège.

S'y ajoute un autre "Grand Tour" en forme de journal de bord effectué par Gomes en 2020 avant d'être interrompu par la pandémie de COVID. Si ce segment du film tourné en couleur est propice à de jolis clins d'œil, à l'instar d'une grande roue lancée à toute allure dès le premier plan, les contraintes sanitaires qui l'ont perturbé lui confèrent un caractère théorique un peu forcé. On y retrouve en même temps l'hybridité fiction/documentaire chère au réalisateur du triptyque Les Mille et une nuits (2015) lequel, avouons-le, nous avait laissé sur le quai.

Rien de tel ici avec, en bonus, une cartographie musicale aussi fascinante que la géographie proposée. Le Beau Danube bleu de Johann Strauss II y côtoie la folk asiatique et des musiques traditionnelles, le My Way de Sinatra se réinvente en mode karaoké, du jazz old school japonais surgit tandis que le Beyond the Sea de Bobby Darin fait définitivement swinguer le beau voyage auquel le réalisateur nous a conviés.

Grand Tour, Miguel Gomes, grand prix de la mise en scène au Festival de Cannes (Sortie le 27 novembre).