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France

Le mardi 31 août 2021, par Laurent Sapir
Le nouveau film de Bruno Dumont, "France", laisse libre cours à une humeur massacreuse contre la société du spectacle permanent. Résultat: une œuvre aussi dissonante que jubilatoire portée avec brio par Léa Seydoux.

En mode tragique, burlesque ou carrément punk, Bruno Dumont fait rarement dans la dentelle. Lui reprocher ses dissonances et son humanisme pour le moins distancié lorsqu'il s'agit de filmer ses semblables laisse du même coup un peu rêveur. Ajoutons-y un tempérament aussi frigorifique que le vent du nord qui lui sert  souvent de carburant, et on aura le portrait craché de la parfaite tête de turc pour tout amateur de cinéma bisounours. C'est pourtant bien le même cinéaste qui réussit parfois à magnifier des profils aussi poignants que déglingués de prolos ou de mystiques au grand cœur.

Sauf que France de Meurs (quel nom et quel prénom !) n'a rien d'une prolo ou d'une mystique. Campée par une Léa Seydoux toute en glamour cynique, cette présentatrice de chaîne d'info qui s'offre de temps en temps un vernis de reporter de guerre traduit à merveille la vacuité et l'obscénité de l'époque. La façon dont elle met en scène ses rencontres avec des migrants en Méditerranée, ses "Action !" et "Coupez !" à répétition, les questions qu'elle reformule après coup devant la caméra pour se donner plus de consistance... Tout cela donne autant la nausée que ses artifices lorsqu'elle anime des débats cousus de fil blanc, sans oublier sa pathétique vie de couple dans une grande baraque et le peu d'intérêt qu'elle témoigne à son fils.

Sa grande chance, cinématographiquement parlant, c'est que Dumont lui offre un chemin de croix. Quand sa voiture percute le scooter d'un jeune défavorisé, les dîners en ville prennent soudain moins de saveur. Découvrant si abruptement le vrai peuple, la star de l'info tombe bientôt en dépression, un sagouin de journaliste abuse de son coeur et un autre accident la rend plus livide que réellement abattue. Apprend-t-elle de ses erreurs ?  De ses aveuglements ? Même pas ! Maternée par une Blanche Gardin impayable en assistante obsédée par les réseaux sociaux ("Les icônes sont faites de boue ", lui assène t-elle lorsque tout va à vau-l'eau...), France se plante elle-même en travers de sa rédemption. Si déjà elle pouvait éprouver un début de sentiment en s'éloignant des petites lucarnes déformantes... La partie s'annonce en tout cas bien difficile.

Ce jeu de massacre qui déborde les cénacles télévisés (un personnage va même jusqu'à disserter sur la nature du capitalisme...) se déploie dans une mise en scène ultra-offensive. A l'esthétique télévisuelle qui surexpose autant qu'elle altère l'émotion par des séquences calibrées au scalpel, Bruno Dumont oppose des moments délibérément étirés, continuant à braquer sa caméra sur ses personnages alors même qu'ils ont cessé de dialoguer. Le procédé a de l'allure même si des lourdeurs virent parfois aux longueurs, comme si le vitriol se diluait dans la durée. Il reste que si France est loin d'être le récit le plus aimable de Bruno Dumont, c'est surtout l'un de ses opus les plus captivants, au diapason de sa comédienne principale, tour à tour choyée et brutalisée, mais qui trouve ici le rôle le plus marquant d'une carrière jusque là en dents de scie. 

France, Bruno Dumont, sélection officielle Cannes 2021 (le film est sorti mercredi dernier)

 

 

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