Mardi 23 décembre 2025 par Laurent Sapir

Évanouis

Avec "Sinners", c'est l'autre grande fable horrifique de l'année... Session de rattrapage pour "Évanouis" et ses travellings pavillonnaires que Zach Cregger transcende sans jamais se prendre au sérieux.

 

Ils courent droit dans la nuit, les bras en croix, comme des ailes d’avion. À 2 h 17 du matin, dans une petite ville de Floride, une vingtaine de gamins issus du même CE2 disparaissent à l’unisson. Ambiance irréelle, amorcée par une voix off juvénile qui raconte après coup ce qui s’est passé — sans dramatiser, mais avec une légère tonalité chagrine, façon Virgin Suicides. Une chanson à la fois lumineuse et inquiète prend le relais : Beware of Darkness, de George Harrison. Le titre vaut avertissement.

Avec une telle séquence d'ouverture, Évanouis a déjà de solides cartes en main, mais son réalisateur, l'acteur et humoriste américain Zach Cregger, ne s'en tient pas à une seule partition. Mêlant fable horrifique et portrait d'une société en crise, son écriture flirte aussi avec le farcesque et revitalise, par un vrai sens du jeu, la narration à chapitres en mode Rashomon. Une institutrice équivoque, un parent d’élève bourru, un flic pas très orthodoxe, un junkie un peu trop aventureux, puis un chef d’établissement mielleux font tour à tour avancer l'intrigue, tout en dessinant une cartographie de l’Amérique pavillonnaire que n’aurait pas reniée un certain Stephen King.

La croquemitaine au cœur de l’énigme n’a plus alors qu'à fracasser l'ensemble, notamment lorsque le récit se resserre autour d'Alex, le seul enfant de CE2 qui n’a pas disparu… Le récit choral aura entre-temps dévoilé d'autres fissures. Harcèlement, toxicomanie, bavures policières, adultères… En l’absence des gamins évanouis dans la nature, le monde adulte se délite, et en tirer les ficelles devient un jeu... d’enfant. La fonction parentale elle-même agonise en direct, à l’image de la mère et du père d’Alex, nourris à la cuiller par leur fils après avoir été plongés dans un état végétatif. Dépossédés, déprogrammés, parfois dédoublés en une version maléfique d’eux-mêmes, ces adultes offrent de l’Amérique une vision étrangement contemporaine.

Le film se termine en apothéose, dans une dérive grand-guignolesque aux accents presque burlesques. Une terreur joyeusement débridée, en somme, qui sort du cadre avec panache — au sens plein du terme, l’apothéose renvoyant bien à un mouvement "au-dessus", voire "hors de" ce qui précédait. On pourra regretter, certes, que les enfants disparus ne deviennent pas davantage un motif récurrent, inscrit dans un registre aussi irrationnel que l’effrayante tante Gladys et son arbrisseau occulte, plutôt que de rester le simple moteur d’un mystère appelé à se résoudre. Léger bémol, tant les cassures de rythme d’Évanouis et la fluidité — paradoxale — de sa mise en scène comme de son montage confinent, in fine, à la jubilation.

Évanouis, Zach Cregger (sorti le 6 août dernier)