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Enfant de salaud

Le jeudi 30 septembre 2021, par Laurent Sapir
Le passé trouble ou le passé qui ne passe pas, c'est son credo. Avec son nouveau roman, "Enfant de salaud", Sorj Chalandon remplit son contrat, non sans certaines facilités.

Félons et faussaires n'ont guère de secrets sous la plume de Sorj Chalandon. De Mon Traître à Le Jour d'avant , en passant par La Légende de nos pères, il les démasque avec une ardeur plus ou moins retenue, sans forcément dissimuler leur aura trompeuse ou le tremblé intérieur qui torture leur parcours. Enfant de Salaud prolonge cette vocation au miroir de l'autobiographie familiale. C'est le propre père de l'auteur qui est ici directement évoqué sous les traits d'une vieille carcasse au passé jonché de mystères et de remugles.

Résistant ou collabo ? Au gré des révélations dans lesquelles s'embarque le narrateur, on a l'embarras du vertige comme cet anti-héros de père aura eu, semble-t-il, l'embarras du choix. Être à la fois un pseudo-résistant et un pseudo-collabo, ce n'est pas donné à tout le monde... Cela fait au moins de vous un sacré personnage de roman, surtout quand la trame se déploie près des eaux noires de la Saône, en 1987, au moment du procès de Klaus Barbie.

Ainsi se dévoilent, s'entrecroisent et se confrontent deux théâtres d'ombres lyonnais : le fils qui déroule les trahisons du père et le procès de l'ex-chef de la Gestapo que ce même fils couvre comme journaliste pour Libération sachant que son vieux est dans la salle d'audience, parmi le public. C'est la partie la mieux réussie du récit. Quand des témoins font jaillir les larmes, le père bâille... Il est aux anges, en revanche, lorsque Jacques Vergès, l'avocat de Barbie, enchaîne les provocations. Il peut aussi lui arriver de se laisser étreindre, mais c'est bien plus rare, par la force de certains témoignages.

Belle machinerie, mais on voit trop les rouages. Dans ce double récit monté en alternance (alors que d'après ce qu'il dit en interview, c'est bien après le procès Barbie que Chalandon a vraiment su qui était son père...), la construction frappe autant par son efficacité que par son artificialité. C'est un peu comme l'histoire du moineau que l'auteur fait apparaître lorsque Lise Lesèvre, l'une des victimes de Barbie, s'avance à la barre des témoins. Après son récit traumatisant, Chalandon cherche le moineau des yeux: "Il était terré dans le relief d'une colonne. Il tremblait, la tête dans les épaules ".

Un moineau tremblant pour ponctuer un témoignage sur des atrocités nazies, bof bof... Ce n'est pas le seul moment où la plume de l'auteur larmoie de manière embarrassante. Jusqu'au fameux climax :  "Oui, je suis un enfant de salaud. Mais pas à cause de tes guerres en désordre, papa, de tes bottes allemandes, de ton orgueil, de cette folie qui t’a accompagné partout.[…]La saloperie n’a aucun rapport avec la lâcheté ou la bravoure. Non. Le salaud, c’est l’homme qui a jeté son fils dans la vie comme dans la boue. Le salaud, c’est le père qui m’a trahi "... Dans cette définition toute personnelle d'un "salaud ", malheureusement, on perd un peu de vue Klaus Barbie. Ce n'était certainement pas l'intention de l'auteur...

Enfant de salaud, Sorj Chalandon (Editions Grasset)

 
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