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En attendant Babylone

Le dimanche 29 août 2010, par Laurent Sapir

La Nouvelle-Orléans a ses chaleurs, elle va accoucher de quelque chose qui pourrait bien la submerger. En attendant, elle transpire, s'agite, s'excite comme l'antique Babylone, cité du pêché et de la démesure qui donne son nom à un char de parade lors d'un défilé de mardi-gras..." Nous aimons un lieu qui ne peut être sauvé par des digues, écrit Amanda Boyden, nous sommes des losers de génie. Mais, bien sûr, ceux d’entre nous qui vivent à Uptown, sur Orchid Street, ne le savent pas encore. Nous n’avons rendez-vous avec Katrina que dans un an. »

Ce n'est pas évidemment pas le calme avant la tempête que raconte Amanda Boyden dans "En attendant Babylone", même si ce quartier d'Orchid Street où elle a installé ses personnages paraît paisible à souhait... Il va suffire, à vrai dire, d'un simple accident de barbecue pour que ça souffle déjà très fort sur Orchid Street, surtout lorsqu'au même moment et en guise de répétition générale se profile Ivan, un autre ouragan qui menace la Nouvelle-Orléans en septembre 2004.

La romancière s'attache notamment à la désagrégation d'un couple venu, comme elle, du Minnesota, et qui a cru bon d'appeler ses gosses Miles et Ella pour faire couleur locale alors même que le jazz s'est muséifié dans la Cité du Croissant, tel un cliché touristique pour "amateurs de musique vieillissants avec crème solaire au coco"... On peut aussi croiser à Orchid Street d'autres pièces rapportées (comme par exemple un couple d'origine indienne) ou encore des personnages du cru comme ce jeune dealer black pas si à l'aise qu'il en a l'air dans les bas-fonds néo-orléanais, ainsi qu'une vieille voisine complètement timbrée, issue de la bourgeoisie blanche, et qui s'avère être la figure la plus terrifiante (et aussi la plus passionnante) du roman.

Amanda Boyden, on l'aura compris, ne se contente pas seulement de restituer les odeurs, les couleurs, les musicalités et la sensualité à la fois poisseuse et luxuriante de cette Nouvelle-Orléans où elle enseigne aujourd'hui après s'être mariée avec l'écrivain canadien Joseph Boyden ("Le chemin des âmes")... D'abord sur le ton de la chronique puis du dérapage en chaine avant l'explosion finale, la romancière saisit avec brio les mirages de la ville, le melting-pot qui dépote avant de se fissurer et d'éclater en mille morceaux, mais aussi l'entraide, la solidarité instinctive et la capacité, au final, de se retrouver au-delà des différences de classe ou de race... De quoi donner une belle et poignante nouvelle réponse au célèbre "Do You Know What It Means To Miss New-Orleans ?" d'un certain Louis Armstrong...

"En attendant Babylone", d'Amanda Boyden (Albin Michel) . Son éditeur, Francis Geffard, est l'invité des "Lundis du Duc", ce 30 août sur TSFJAZZ, entre 19h et 20h, à l'occasion des 5 ans du passage de Katrina à la Nouvelle-Orléans... Autres invités, Laurent Gaudé pour son nouveau roman, "Ouragan", (Actes Sud) et la journaliste Auberi Edler, dont France 2 a diffusé le 19 août un documentaire sur Katrina...

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