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THE WELL-WHISHER
ESBJORN SVENSSON / E.S.T.

Elle

Le lundi 23 janvier 2017, par Laurent Sapir

Une bande-annonce qui semblait résumer tout le film, une matrice littéraire ayant laissé un mauvais souvenir (Oh..., de Philippe Djian) et un trop-plein d'Isabelle Huppert malgré son incontestable talent... Autant de coups de frein plus ou moins dissuasifs au moment de la sortie de Elle, en juin dernier. Séance de rattrapage sur le chemin des Oscars...

Et beau moment de cinéma, avouons-le. C'est un autre Basic Instinct que Paul Verhoeven met en scène, à sa manière, à travers le cheminement de Michèle, femme de poigne qui n'entend pas se laisser dépérir suite aux outrages sexuels que lui a infligés son agresseur. Et tant pis si la vitalité dont elle témoigne frôle l'ambivalence ou le cynisme. Avec son violeur comme avec ses proches, dans sa vie intime, familiale ou professionnelle, le statut de victime ne sied pas à cette bourgeoise émancipée qui entend tout dominer, jusqu'à transformer une épreuve intime en transgression sexuelle.

Dans son contenu et sa tenue, Elle foisonne comme un film-concept dont son démiurge tisse les fils avec jubilation. Il s'agit évidemment, ici, de corroder les paramètres d'un certain cinéma français à l'aune du subversif. Verhoeven récupère ainsi toute une galerie de seconds rôles (Anne Consigny, Judith Magre, Charles Berling...) et de problématiques hexagonales (l'amant, l'ex-mari etc...) auxquels il inocule une gamme d'impuretés entassées, faisant remonter à la surface l'arrière-boutique peu reluisante d'apparence qu'un certain milieu social dissimule avec brio.

On est un peu dans Feydeau mais dans Elle, Feydeau a encore plus la rage. La mise en scène dépeint dans l'aplat (et non pas dans la platitude) ces monstruosités normatives qu'Hitchcock et surtout Chabrol auraient adoré déployer. Avec pour climax un repas de famille dissonant et détonnant, à l'instar de ce cure-dent délibérément glissé dans un amuse-gueule. La jubilation qu'on en éprouve n'est pas exempte, cependant, d'une certaine distance vis-à-vis des personnages. À trop les filmer comme des pantins, Verhoeven n'entretient-il pas un certain confort du spectateur ?

Au final, le film apparaît parfois comme en apesanteur par rapport à ses surenchères ou alors, dit autrement, cerné par ses performances. Celle d'Isabelle Huppert est un manifeste en soi. Elle ne joue pas, elle irradie. Qui d'autre que cette comédienne d'exception pouvait porter un tel personnage dans ses ambiguïtés vénéneuses, son détachement feint et son émancipation résolue ? Hasardons en même temps un regret: sa prestation dans Elle prend d'avantage la forme d'une synthèse -magistrale, certes-  au regard de sa filmographie que d'un réel changement de cap.

Elle, Paul Verhoeven (Sélection officielle au dernier festival de Cannes)

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