Dahomey
La réalisatrice Mati Diop filme le retour au pays natal des anciens trésors du royaume de Dahomey autrefois pillés par la France... Malgré une belle entrée en matière, le propos s'essouffle par manque de densité.
Difficile de ne pas penser au pénétrant court-métrage Les Statues meurent aussi (1953) du tandem Alain Resnais/Chris Marker à la vision de Dahomey. En pleine nuit coloniale et avec le concours de Ghislain Cloquet à l'image et André Hodeir côté B.O, les deux cinéastes questionnaient déjà le mépris occidental pour l'art africain. Fragments de bas-reliefs abandonnés sur l'herbe, bustes amputés... "C'est que le peuple des statues est mortel. Un jour, nos visages de pierre se décomposent à leur tour ". "Et quand nous aurons disparu, poursuivait la voix-off de Jean Négroni, nos objets iront là où nous envoyons ceux des nègres, au musée. »
Les statues heureusement ne se contentent plus seulement de mourir. Devant la caméra de Mati Diop, auréolée d'un Ours d'or à Berlin, elles parlent. L'une d'elle, surtout: le roi Ghézo, prêt à embarquer avec 25 autres trésors de l'ancien royaume de Dahomey pillés par la France lors de la colonisation et récemment restitués au Bénin. Sa voix à la Dark Vador prend aux tripes. Il n'est pour l'instant, dit-il, qu'un numéro dans une boîte, le numéro 26. Il se demande si son peuple le reconnaîtra, et aussi s'il est éternellement voué à croupir dans un musée, même si c'est un musée africain.
L'idée est cinématographiquement géniale. Empaquetée depuis les réserves du Quai Branly et expédiée dans une caisse-tombeau dont on a vissé les clous avant qu'elle ne rejoigne le tarmac de l'aéroport, la statue en bois continue de s'exprimer. Elle fait partie de notre présent, jusqu'au recours quelque peu anachronique à l'écriture inclusive lorsque ses propos traduits apparaissent au bas de l'écran. Est-ce à ce moment là qu'on pressent à quel point Mati Diop coche un peu trop complaisamment toutes les cases d'un certain cinéma dans l'air du temps ?
Là où il aurait fallu creuser une problématique et déployer les questionnements qu'elle fait surgir, y compris dans la contradiction, Dahomey ne surfe que sur son esthétique hypnotique à la lisière du fantastique, notamment à travers ses ponctuations musicales. De fait, l'intérêt décroît peu à peu lors de l'arrivée du roi Ghezo au Bénin. On ne saisit pas vraiment, par exemple, l'intérêt des réceptions filmées par la réalisatrice du déjà très surestimé Atlantique (2019) où de ridicules fantômettes aux yeux blancs étaient censées évoquer la tragique odyssée des migrants en mer.
La dernière partie déroute encore davantage. Comme un cheveu dans la soupe, des étudiants béninois débattent trop brièvement entre eux sur la portée de cette restitution, et sur le fait même que l'enseignement qu'ils ont reçu à l'école ne leur permettent pas de l'appréhender à sa juste mesure. Tout cela est un peu "cheap", comme s'il s'agissait surtout, pour la réalisatrice, de ne surtout pas célébrer l'annonce faite en 2021 par Emmanuel Macron. On peut comprendre cette intention au regard des 7000 œuvres toujours "captives" au musée du Quai Branly, mais sur la nécessaire décolonisation de nos imaginaires, on attendait un propos mieux construit et moins paresseux, et peut-être aussi un film un peu plus long que ses 67 minutes inachevées.
Dahomey, Mati Diop, Ours d'or à Berlin (Sortie en salles ce mercredi 11 septembre)