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Comédies françaises

Le mercredi 26 août 2020, par Laurent Sapir
La quête d'une belle inconnue, l'invention d'Internet, l'épopée d'un maléfique industriel giscardien... Le nouveau roman d'Éric Reinhardt, "Comédies françaises", a tous les traits, hélas, du roman à tiroirs qui vire armoire.

Sa plume semble au départ à nouveau mutine, acérée, virevoltante, comme dans ses grands romans d'autrefois. À travers Dimitri Marguerite, jeune lecteur de Montaigne à la recherche de la femme idéale dans les eaux glacées du libéralisme contemporain, Éric Reinhardt renouerait-il avec cette légèreté balzacienne qui nous bluffait tant, de Cendrillon au Système Victoria ? Trompe-l'œil, hélas... Rastignac est un benêt, Cendrillon peut dormir en paix. Comédies françaises n'en est qu'une version citrouille aux artifices révolus.

Au jeu de l'amour et du hasard, son héros avait pourtant de belles cartes en main. Dimitri croise une jeune inconnue à plusieurs reprises dans des lieux différents. Sensible comme il est à la magie de l'instant et aux espiègleries du réel, notre héros y voit forcément un signe du ciel. Le lecteur est prêt à gambader dans ses songes même si Reinhardt a une curieuse manière de les mettre en forme: "Ah la la mon Dieu que c’est beau ! ah que cette femme lui plaît !"...  Plus loin dans le récit, voilà Dimitri aux anges face à "l'impromptue principauté d'une fantastique limpidité relationnelle ". On reprendrait bien, alors, quelques cacahuètes.

Le portrait politico-socio-sociétal du jeune homme n'est guère plus transcendant. Dimitri est communiste, mais c'est un communiste façon Closerie des Lilas. Recruté dans un cabinet de lobbying, il se la joue même un peu requin et gagne beaucoup de fric. L'auteur veille par ailleurs à ne pas l'enferrer dans une sexualité trop univoque par les temps qui courent. Il prête aussi à son personnage quelques méditations intéressantes sur l'uniformisation-globalisation des corps féminins (au détriment d'affriolantes toisons naturelles...) ainsi que sur la piétonnisation arbitraire -et tout aussi uniforme- des centres-villes.

Sauf qu'à un moment, on dévisse sec. Première alerte lors d'une longue évocation de l'exil américain des surréalistes français dans les années 40. Dimitri s'en réclame, certes, au nom du flou que Breton et ses acolytes entretenaient entre les songes et la vie réelle, mais le passage reste tout de même assez fastidieux. Bien plus redoutable encore, la bifurcation vers l'histoire d'Internet dès lors que le personnage principal, reconverti en reporter à l' AFP (!!), enquête sur un informaticien français dont les travaux se sont heurtés, dans les années 70, aux intérêts d'un puissant patron giscardien, Ambroise Roux.

Bref, l'intrigue à tiroirs vire armoire. Si incontournable fût-il à l'époque, cet Ambroise Roux exhumé des oubliettes nous indiffère. On souffre ici autant que dans ce premier roman (La Théorie de l'Information, Aurélien Bellanger) qui fit tant le buzz il y a quelques années sur la saga tricolore du Minitel. Quant au discours anticapitaliste censé enrober toute cette épopée, il ne cesse d'osciller entre moraline et naphtaline. Et la belle inconnue du début du récit, alors ? Là encore, le syndrome de la baudruche risque de laisser plus d'un lecteur sur sa faim.

Comédies françaises, Éric Reinhardt (Gallimard)

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