Clint Eastwood délibère avec brio dans "Juré n°2"

Dans ce qui est peut-être son dernier film, Clint Eastwood se confronte au Henry Fonda de "Douze hommes en colère", et c'est très beau.
Rien de mieux qu'un jury pour mettre une singularité à l'épreuve du collectif. Sidney Lumet en avait fait un film emblématique, Douze hommes en colère, avec Henry Fonda en juré n°8. Seul devant l'une des fenêtres de la salle des délibérations, le visage en sueur, il doutait de la culpabilité d'un accusé avant de retourner un à un les partisans d'une condamnation. Clint Eastwood reprend quasiment le même plan -celui de la fenêtre- dans Juré n°2, sauf qu'il fait moins chaud que dans le film de Lumet et surtout, féminisation et métissage obligent, ce n'est plus du tout la même Amérique qui se la joue tempête sous un crâne.
Autre différence majeure : notre juré n°2, campé tout en zones grises par Nicholas Hoult, n'a peut-être forcément hérité de l'intégrité d'Henry Fonda. Ne serait-il pas par hasard directement impliqué dans le crime qu'il a à juger ? Est-il vraiment certain d'avoir renversé un cerf, ce fameux soir de pluie où une jeune femme a été retrouvée morte après s'être disputée avec son petit ami, un gars visiblement peu recommandable ? Ce coupable idéal taraude la conscience du juré n°2, soucieux de ne pas participer à une éventuelle erreur judiciaire tout en veillant à pas attirer les soupçons sur lui-même.
On l'aura compris, en superposant film de procès et polar, Clint Eastwood a trouvé matière à une flopée d'ambivalences (et on ne parle même pas ici de la procureure à son tour saisie par le doute après s'être acharnée à obtenir une condamnation pour se faire élire à un poste plus prestigieux...) dont il raffole, lui qui est si allergique aux notions figées de bien et de mal. Il n'hésite pas non plus à questionner l'essence même de la justice tout en égratignant au passage l'image du couple faussement idyllique formé par le juré et son épouse.
Le reste participe d'un thriller à l'ancienne, certes, mais dont l'intensité se déploie de main de maître. Plutôt que le beau et crépusculaire Cry Macho dont la nonchalance accentuait en même temps le caractère testamentaire, c'est donc un récit plus tendu et plus diabolique qui pourrait dès lors signer la sortie de scène du cinéaste âgé de 94 ans. On peut légitimement préférer ce genre d'adieux.
Juré n°2, Clint Eastwood (sortie en salles ce mercredi 30 octobre)