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Clair-obscur

Le jeudi 18 novembre 2021, par Laurent Sapir
Peaux noires et masques blancs en plein cœur du Harlem Renaissance... Avec "Clair-obscur", son premier film diffusé sur Netflix, Rebecca Hall adapte avec une finesse non dénuée de langueur un classique de la littérature africaine-américaine

On appelait ça le light skin privilege... Dans le New-York enjazzé mais pas moins ségrégué des années 20, un teint suffisamment clair pouvait permettre à certaines Africaines-Américaines de passer pour des femmes blanches, bénéficiant du même coup d'un bonus social et d'une liberté de mouvement qui ne leur étaient guère autorisés. De quoi inspirer à la même époque un classique des lettres américaines, Passing, de Nelly Larsen.

Il faudra attendre 2010 pour que ce roman soit traduit en français avec un titre esthétisant -Clair-obscur- pour le moins problématique au regard de ce qui était d'abord considéré comme une infraction à la loi. Cette notion de "clair-obscur" résume au moins parfaitement l'adaptation stylée et toute en nuances que propose la Britannique Rebecca Hall dans son premier long-métrage. Remarquée comme actrice dans Vicky Cristina Barcelona de Woody Allen, elle sait de quoi elle parle, son grand-père ayant lui-même été un homme noir à la peau claire qui est "passé " pour blanc pendant la majeure partie de sa vie.

Avec doigté et sensibilité, mais au risque de parfois s'étourdir dans la langueur, la réalisatrice situe les prolongements à la fois raciaux et sociaux d'une situation hors du commun. Irene, une mère de famille ancrée dans le Harlem bourgeois tout en se ménageant grâce à ce fameux teint clair quelques escapades dans les quartiers chics de Manhattan, retrouve ainsi par hasard, dans un salon de thé, une amie d'enfance, Clare. Cette dernière a franchi le rubicon, reniant ses origines pour devenir cette blonde délurée et transgressive mariée qui plus est à un blanc infatué et raciste. Une attirance non dénuée de malaise se noue entre les deux femmes, surtout lorsque Clare entend renouer avec son ancienne communauté lors de ces soirées mondaines dont le Harlem Renaissance était si prodigue...

La mise en scène capte avec justesse le tourbillon intellectuel et jazzistique de ces soirées auxquelles pouvaient aussi participer des blancs. L'un des personnages semble d'ailleurs inspiré de Carl Van Vechten, le principal mécène du Harlem Renaissance. La réalisatrice saisit également avec finesse les jeux de masques entre les deux amies, le rapport transgression/intégration qui les taraude chacune à leur manière, ainsi que l'aliénation sociale et conjugale d'Irène dans son cocon bourgeois. Difficile de jouer l'épouse et mère à la vie bien rangée aux côtés d'un mari (André Holland) de plus en plus distant, surtout quand les enfants apprennent dans les journaux le sort funeste des Africains-Américains dans le sud des États-Unis.

Un noir et blanc sophistiqué puis de plus en plus oppressant dans ses versants graphiques, surtout lors des scènes situées dans la demeure d'Irène, dessine peu à peu un dénouement tragique. Le jeu parfois bien maniéré de Tessa Thompson, qui joue Irène, s'ajoute malheureusement aux quelques réserves que suscite un film qu'on aurait rêvé plus nerveux. Ruth Negga, qu'on avait déjà adoré dans Loving, s'impose avec nettement plus de chair dans le rôle de Clare l'insoumise.

Clair-Obscur (Passing), Rebecca Hall, actuellement sur Netflix.

 

 

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