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BLUES IN THE NIGHT
QUINCY JONES

Ce que savait Jennie

Le mardi 28 août 2012, par Laurent Sapir

Elle s'appelle Jennie, comme la fille de Marx, mais c'est d'abord à une autre figure féminine que Gérard Mordillat a pensé en brossant le portrait de cette jeune fille insurgée contre les saloperies de l'existence. Car voilà qu'au cours de ses galères on lui offre un sacré roman rescapé du 19e siècle, à Jennie. Il y est question, là encore, d'une gamine abandonnée à la sécheresse du monde et qui manifeste une lucidité à toute épreuve. En tournant les pages de "Ce que savait Maisie", d'Henry James, Jennie a trouvé sa bible. La grande différence avec Maisie, c'est que Jennie est moins passive, plus énervée, ce qui n'empêche pas Gérard Mordillat de lui ménager de beaux instants de tendresse alors qu'Henry James, lui, est d'une cruauté sans pareille avec sa jeune héroïne.

Jennie, effectivement, finit par faire de belles rencontres, surtout lorsqu'elle approche des 23 ans. Après avoir vu sa fratrie dispersée à la suite de la mort accidentelle de sa mère et s'être vengée comme il se doit, elle tombe sur l'âme-frère, une sorte d'ange exterminateur du CAC 40 qui ne jure que par Fouquier-Thinville ("Je suis une hache. On ne condamne pas une hache").

Ça soulage un peu, la romance entre Jennie et Quincy (Même si Mordillat est toujours fâché avec les happy end...), surtout après l'entame caniculaire du récit avec en point d'orgue le beau-père despérado qui joue comme un con au cavalier de l'Apocalypse. strong>Jennie, elle, serait plutôt une "espérado", comme le dit Gérard Mordillat en reprenant une expression chère à Romain Gary.

Délaissant les grandes fresques sociales du type "Les Vivants et les Morts" dont il a inégalement prolongé le souffle ces dernières années, le romancier-cinéaste renoue ici avec une puissance d'accélération que renforcent l'absence de chapitrage et le choix d'un format court et indéniablement densifié. Sans rien concéder à ses colères libertaires et à son empathie avec les milieux populaires, il nous livre un récit poignant qui laisse le lecteur scotché par Jennie et par ce qu'elle porte, dans son âme et dans son corps, des traces, des saignées mais aussi, parfois, des quelques belles et fraternelles lueurs de la vie.

"Ce que savait Jennie", de Gérard Mordillat (Editions Calmann-Levy). Coup de projecteur avec l'auteur, ce jeudi 30 août, sur TsfJazz (7h30, 11h30, 16H30)

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