Blitz

Le sang et les larmes, mais à la manière de Steve McQueen... Pour Apple TV+, le cinéaste britannique donne une couleur et une ampleur bien particulières à l'errance d'un gamin métis à la recherche de sa mère dans le "Blitz" londonien...
Dans l'articulation du singulier et du collectif, Blitz fait déjà écho à la bar-mitsvah d'un ado métis dans Occupied City, pur rayon de lumière au bout d'une fresque implacable sur la Shoah à Amsterdam. Autre repère dans la filmo du réalisateur Steve McQueen, celui de Small Axe, série d'anthologie sur la communauté anglo-caribéenne de la fin des années 60 au début des années 80. C'est au croisement de ces deux récits que Blitz prend toute sa valeur, et aussi parce que c'est en travaillant sur Small Axe que le cinéaste a déniché la photo d'un garçon noir sur le quai d'une gare quand les Allemands bombardaient Londres en l'an 40.
La forme, une fois de plus, surprend chez McQueen tant l'odyssée de George, un garçon métis refusant l'exil à la campagne et qui tente de rejoindre sa mère dans le déluge de feu londonien, se déploie dans une tonalité étonnamment gothique: l'échappée du train, la rencontre avec un policier noir tout droit sorti d'un conte pour enfants, la parenthèse avec des détrousseurs de cadavres telle une méga-famille Thénardier... Autant de séquences qui lorgnent parfois vers le fantastique jusqu'à nous faire craindre une évacuation du contexte historique.
Il n'en est rien. En suivant en parallèle la mère du gamin avant qu'elle ne retrouve son fils, le réalisateur superpose à sa trame façon Dickens une approche à la fois plus politique et plus sociologique. Employée dans une usine de munitions, la jeune femme incarne une âme ouvrière dont McQueen explore le quotidien au féminin pluriel durant cette période sombre de l'histoire britannique: comment fabriquer une robe, quel film aller voir au cinéma... Des femmes en lutte, également, qui échappent enfin au statut de veuve éplorée ou de figure de l'ombre.
De manière plus globale, le réalisateur renverse l'image d'une société prétendument unie dans le "sang et les larmes" promis par le camarade Churchill alors qu'elle restait en vérité traversée par des enjeux de classes, de genres et de couleurs de peau, à l'instar du sort réservé au père de George, originaire de la Grenade. Malgré un excès de schématisme sur une ou deux séquences, le cœur se soulève lorsque ces "salauds de pauvres" sont refoulés des stations de métro à l'approche des raids afin de ne pas perturber la circulation des rames. La malchance y ajoute son grain de sel, notamment lorsque la Luftwaffe nazie fait exploser des conduites d'égout, créant un tsunami dramatique dans certaines stations.
Visuellement, le metteur en scène et l'artiste plasticien, une fois de plus, ne font qu'un, ménageant à la fois des plans poétiques, jusqu'à l'abstraction, et des séquences d'une ampleur esthétique sidérante dans les ruines de Londres, mais aussi dans les pubs où deux séquences jazz donnent véritablement le tournis. Mention spéciale, enfin, au tout jeune Elliott Heffernan qui donne à ce personnage d'enfant autant de force que de vulnérabilité, avec à ses côtés l'émouvante Saoirse Ronan dans le rôle de la mère ainsi que deux personnalités venant d'un autre univers, les chanteurs Paul Weller et Benjamin Clementine.
Blitz, Steve McQueen (Apple TV+)