Bertrand Cantat: de rockstar à tueur

Lui, un "écorché vif "? Plus de 20 ans après les coups mortels infligés par le chanteur Bertrand Cantat à la comédienne Marie Trintignant, une sourde colère grandit au gré du documentaire que consacre Netflix à ce drame et aux aveuglements dont il fut à la fois la source et l'aboutissement.
Dans ses chansons, il pourfendait le "système"? C'est bien ce même "système", pourtant, dans son volet industriel, médiatique et sociétal, qui a tenté de protéger Bertrand Cantat malgré la mort de deux femmes. Car il y a bien deux victimes dans le documentaire édifiant que consacre Netflix au parcours criminel du chanteur de Noir Désir: Marie Trintignant, mais aussi son ex-femme, Kristina Radi.
De la première, pensait-on, tout a été dit. Des documents d'archives parfois saisissants remettent cependant à l'esprit des mensonges et des excuses dont le crescendo n'avait alors pas imprimé tant que ça à l'époque. Un "accident", prétendait Cantat lors de sa première audition à Vilnius en juillet 2003. Elle aurait chuté sur un radiateur... Il mettra du temps avant d'admettre qu'il a longuement tabassé sa compagne et laissé passer plusieurs heures avant d'appeler les secours. Il fallait la laisser dormir, disait-il, elle avait le "sommeil profond"...
Et quand l'autopsie tranche autrement, alors se met en place la bonne vieille mythologie du "crime passionnel". Il l'aimait trop, le pauvre, c'était un "écorché vif", et puis entre nous, elle avait un petit côté "hystérique", Marie. De toute façon, on n'est pas très net lorsqu'on a quatre enfants de trois pères différents, ose même Arnaud Viviant, journaliste aux Inrocks. La journaliste Michelle Fines, qui a couvert ces événements pour TF1, évoque avec beaucoup de doigté ce que fut l'aveuglement de la société française -et aussi en partie le sien- dans une période où personne ne parlait encore de féminicide. Également présent à l'écran, Pascal Nègre, l'ex-patron d'Universal Music mais lui, ce n'est pas le doigté qui le caractérise... Cantat avait peut-être failli, mais derrière ce cas individuel couvait une poule aux œufs d'or qu'il allait absolument sauvegarder. Elle s'appelait Noir Désir.
Elle aussi, elle couvait Cantat... Malgré une séparation brutale alors qu'elle venait à peine d'accoucher, l'ex-compagne du chanteur, Kristina Radi, sera sa carte-maîtresse pendant son procès à l'issue duquel il est condamné à très peu d'années de prison. Lui, violent ? Certainement pas, martèle-t-elle à la barre. Le documentaire ne dit pas qui, au sein ou en dehors du groupe, lui a demandé de témoigner en ces termes. La suite des événements, hélas, confirmera le caractère artificiel de ce témoignage. Se remettant en couple avec Cantat après sa libération, elle repart en enfer jusqu'à ce que son fils la découvre pendue, en 2010, pendant que le chanteur sommeillait à l'étage au-dessous. Retentit alors cette phrase glaciale de l'avocat Georges Kiejman, décédé en 2023: "On peut dire que Cantat dort toujours quand ses femmes meurent".
C'est Anne-Sophie Jahn, journaliste au Point et co-autrice du documentaire, qui a enquêté sur cette deuxième affaire Cantat. Ce n'est pourtant pas tant son abnégation qui crève l'écran, ni même les paramètres toujours superfétatoires d'un documentaire façon Netflix, notamment à travers certains effets de montage. Non, celle qui nous emporte le plus, et pas forcément au début de ce récit tant elle s'est souvent montrée extravertie, était une amie proche de Marie Trintignant, et si ce documentaire donne à ce point la rage, c'est bien parce qu'elle prolonge celle, longtemps inaudible, de la chanteuse Lio, sentinelle et vigie d'un combat qui se conjugue toujours au présent.
De rockstar à tueur : le cas Cantat », série documentaire en trois épisodes de Zoé de Bussierre, Karine Dusfour, Anne-Sophie Jahn et Nicolas Lartigue. Actuellement sur Netflix.