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MILES DAVIS

Aurora

Le jeudi 02 avril 2009, par Laurent Sapir

TSFJAZZ continue à le couver des yeux et des oreilles, n'en déplaise à certains puristes qui font de plus en plus la fine bouche... C'est vrai qu'il dérange, Avishai Cohen, avec son look de rock-star, son succès auprès du public et son absence de complexes dans la façon qu'il a de se laisser traverser par ses racines.

Aurora, à-ce-propos, va en faire hurler plus d'un... Voilà qu'il se met à chanter, maintenant, le contrebassiste...Et en plus en hébreu et en ladino (la langue des juifs d'Espagne expulsés) !!! Paraît que ce n'est pas très jazz, comme langues... Il chante aussi en anglais, mais les mêmes oeillères n'en démordent pas: trop World ! Trop Pop! Alors il se lance dans l'Espagnol, presqu'à capella dans la célébration d'une poétesse argentine qui a fini comme Ophélie...

Danilo Perez, autre transfrontalier de génie, avait lui aussi repris Alfonsina y el mar, mais quand c'est Avishai qui s'y colle, on a encore une fois l'impression que ça en gêne certains... Je me souviens que fin février, dans Les Lundis du Duc où l'on avait écouté le disque en avant-première, Avishai Cohen avait revendiqué sa "confusion" des genres... "I'm confused, Yes !"... Il répétait la phrase, dans un demi-sourire vaguement irrité, un peu ironique et formidablement humble...

Il chante, donc, pour ne pas sortir, surtout, de la "confusion", parce que chez lui, la confusion est d'abord un creuset, une source de voyages multipliés, une identité métissée d'entrée de jeu entre Mingus, Stevie Wonder, les parfums arabo-andalous et les chants hébraïques... Il est allé à New-York pour réinventer sa Jérusalem, Avishai... Il a aussi plongé son Orient dans les braises latines. Il chante l'oiseau sur les rives du Jourdain qui inspirait un grand poète hébreu,  (El Hatzipor), mais il refuse le communautarisme version John Zorn, un peu crispant en radicalité parfois, surtout lorsque le bonhomme concertise en treillis Tsahal.

Avishai Cohen, lui, n'a déclaré la guerre à personne... "La musique ne donne pas d'ordre de marche" dit-il dans le hors-série jazz du magazine Vibrations...  Et il ajoute: "Notre tradition cumule, plutôt qu'elle ne distingue"... Toujours en voyage, jusqu'à chanter les Bédouins et le vent du désert dans Noches Noches... Toujours en harmonie avec tous les ailleurs du jazz par lesquels cette musique ne cesse de se revitaliser. Il y avait peut-être trop de langues, trop de cultures différentes dans la contrebasse d'Avishai, alors il a creusé, creusé encore, et tout au fond de lui-même, il a trouvé sa voix !

Il s'est dit aussi qu'avec une autre voix, féminine ci-possible, ça pourrait faire un beau couple, genre trompette et trombone. Elle s'appelle Karen Malka, et elle n'est pas là pour jouer les choristes... Il a aussi demandé à Shai Maestro et à Itamar Douari une belle intro piano/percussions sur Morenika, la chanson qui ouvre l'album. On dirait presque de la pudeur, cette intro où la voix n'ose pas encore se poser... Pudeur, encore, cet interlude des frères Belmondo en 2ème titre, avant que les frangins "cuivrés" ne s'éclatent dans le festoyant et swinguant Alon Basela.

Mais c'est finalement dans le fredonnement que l'album se consume dans quelque chose de carrément baudelairien... A cause du spleen bien sûr, mais aussi sur le versant luxe, calme et volupté... Le "la la la" de Shir Preda, les carillons et la séquence fender de Winter Song, l'oud magique d' Amos Hoffman sur Aurora... Oui, le fredonnement, et qu'on ne vienne pas nous dire qu'on n'a jamais fredonné en jazz ! Ou alors je n'ai rien compris à Bill Evans... Ou alors ce n'est pas du jazz, l'écrin de cordes qui berce Laura dans le sax de Charlie Parker...  Ou alors il ne s'est jamais rien passé entre Broadway et la 52ème rue quand le blues de la Diaspora rencontrait la musique des champs de coton...

Avishai Cohen est le "croisé " de tous ces fredonnements. Il en est aussi le passeur, dans la droite lignée de celui qu'il a accompagné à un moment de sa carrière et qui reconnaissait, il y a quelques années sur TSFJAZZ, que le jazz "ça peut parler"... A ce titre, effectivement, Avishai Cohen est notre nouveau Herbie Hancock...

Aurora, d'Avishai Cohen (Blue Note)... Concerts au Bataclan, à Paris, les 10 et 11 avril.

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