Anora

Action, émotion, émancipation... Avec "Anora" et son indomptable Cendrillon, l'Américain Sean Baker signe la plus fougueuse des palmes d'or.
Il a filmé tour à tour les transgenres hyperactifs de L.A. dans la lumière orange de Tangerine, les amours tarifés aux marges de Disney World dans Florida Project ou encore, avec Red Rocket, la dérive carnavalesque d’un ancien acteur de cinéma X dans les zones périurbaines du Texas… Et pourtant, malgré les apparences, le sexe n'est jamais glauque chez Sean Baker, figure emblématique du cinéma indépendant américain désormais auréolé d'une palme d'or, au diapason de ce qui est son plus beau film.
De fait, ce cinéaste de la marge et des laissés pour compte ne verse jamais dans le pathos. Sa caméra pulse sur toute la surface de l'écran et si elle a parfois pu apparaître, dans le passé, encapsulée dans des choix esthétiques toujours audacieux, Anora en libère tous les élans, à l'instar de son indomptable héroïne. Ainsi fonce Anora, une strip-teaseuse d’origine ouzbek qui n'hésite pas à monnayer autrement son corps pour arrondir ses fins de mois. On est à Brighton Beach, du côté de Brooklyn, et la jeune femme, campée par une diablesse d'actrice nommée Mikey Madison, ne résiste pas bien longtemps à un jeune oligarque russe un peu chien fou qu’elle finit par épouser sur un coup de tête.
Horreur, malheur, pour les parents du jeune homme, résolus à faire annuler ce mariage par tous les moyens en recrutant quelques gros bras dont les maladresses, mais aussi les farouches talents de "self-défense" d'Anora, vont court-circuiter le scénario à la Pretty Woman dans lequel le récit semblait s'embarquer. Résultat: un modèle de film d’action et d’émotion, un tourbillon de mise en scène qui dépoussière la vision traditionnelle des communautés slaves de Brooklyn, une envolée dans le burlesque (on n'est pas loin des grandes Screwball Comedies d'autrefois...) comme dans le drame.
Quel cran, cette Anora... La séquence enneigée où elle verse ses premières larmes, poignant épilogue d'une palme d'or survoltée, nous emmène pourtant dans une toute autre direction, comme si en posant tout simplement sa caméra, Sean Baker envoyait définitivement paître tous les fourvoiements du "male gaze", offrant à son art les mille et une nuances d'une quête d'émancipation aussi exaltante que douloureuse.
Anora, Sean Baker, palme d'or au Festival de Cannes 2024. Sortie en salles ce 30 octobre.