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Andrzej Wajda, la fièvre avant le coup de froid...

Le lundi 10 octobre 2016, par Laurent Sapir

Il fait encore plus froid, en Pologne, maintenant qu'Andrzej Wajda est mort. Depuis un an, la nouvelle équipe au pouvoir multiplie les provocations. Dérive nationaliste, révisionnisme historique, climat hystérique autour des réfugiés... Dernièrement, il a fallu un défilé de femmes en noir pour sauver ce qu'il reste encore, dans ce pays, du droit à l'IVG.

Au regard de ces vieux démons, le cinéma d'Andrzej Wajda convoquait une Pologne autrement plus fiévreuse, aussi baroque que romantique, aussi résistante que tchékhovienne. Les images, les ambiances, se bousculent dans la mémoire... La longue file de ceux qui vont mourir dans les égouts de Kanal, les deux amants sous un Christ renversé dans l'église en ruines de Cendres et Diamants, la caméra sur le vif dans L'Homme de Marbre et L'Homme de Fer, mais aussi les robes langoureuses des Demoiselles de Wilko, le visage tragique de Hanna Schygulla dans Un Amour en Allemagne...

Et puis Danton, bien sûr... Résistant de l'intérieur, la focale se déplaçant subrepticement de la nuit nazie aux œillères liberticides du stalinisme, Wajda opte soudainement pour le pamphlet en extérieurs au début des années 80, lorsque la France lui offre la possibilité de relire l'affrontement Jaruzelski/Walesa à l'aune du face-à-face tragique entre Danton et Robespierre.

Vision caricaturale de la Révolution Française ? C'est ce que pense, à l'époque, toute une frange de la gauche bien-pensante alors que l'expressionnisme de la mise en scène, la direction d'acteurs, la vigueur et l'assomption lyrique du film en déplient une infinie liberté de lectures. Depardieu hurle son Danton jusqu'à en perdre la voix, Patrice Chéreau compose un Desmoulins déchirant, mais le maladif Robespierre de Wojtek Pszoniak est-il si affreux qu'on veut bien le dire ? Voilà un révolutionnaire bien déchiré, à défaut d'être déchirant...

Bon, peut-être que dans cette histoire, le spectateur fait un peu honte à son réalisateur, mais qu'importe... Danton, je l'avoue, reste à ce jour mon plus grand choc cinématographique. Je n'ai pas osé, bien évidemment, développer ma vision du film devant le maestro polonais lorsque je me suis retrouvé face à lui, il y a quelques années, micro TSFJAZZ en main. On était surtout là pour causer de Tatarak, dernier grand joyau avant le biopic un peu laborieux sur Lech Walesa. Un miracle de sonate, ce Tatarak... Des rendez-vous au bord de l'eau, des herbes flottantes... À la veine intimiste du film faisait écho un monsieur extraordinairement affable, attentionné et chaleureux. Alors qu'il fait si froid, aujourd'hui, en Pologne.

Andrzej Wajda (6 mars 1926-9 octobre 2016)

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