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Anatomie d'un acteur/Al Pacino

Le vendredi 10 mai 2013, par Laurent Sapir

Il y eut Michael Corleone et Tony Montana, bien sûr... L'impénétrable "Parrain" de Coppola pour ouvrir le bal, puis l'extraverti "Scarface" de Brian de Palma pour emballer la décennie suivante. Al Pacino serait-il pour autant devenu l'icône que l'on connaît s'il n'avait pas d'abord été Francis Lion Delbucchi et Sonny Wortzik?

Magnifié dans "L'Epouvantail" de Jerry Schatzberg, palme d'or à Cannes en 1973, le premier des deux lascars joue les clowns pendant les deux-tiers du récit, tout comme Pacino lui-même dans son enfance lorsqu'il faisait rire ses potes avec ses mimiques... Et puis le masque tombe, peu à peu, jusqu'à ce climax de légende qui voit Francis Lion Delbucchi s'effondrer au pied d'une fontaine sous le regard impuissant de son vieux pote routard Gene Hackman, lequel s'est enfin fait voler la vedette...

Cet art de l'effondrement, terme logique de la schizophrénie du mâle américain que traduit si bien le cinéma US des années 70, Al Pacino le portera à d'autres sommets dans la peau de Sonny Wortzik, le braqueur bisexuel et maladroit d'"Un après-midi de chien" (1976). Sous la direction de Sidney Lumet, l'acteur adopte au départ ce ton mezzo voce qui lui va si bien avant de virer pile électrique. "Attica, Attica !" hurle-t-il aux médias et à la foule rassemblée pour assister à sa confrontation avec la police, en référence à la fameuse mutinerie carcérale jazzée par Archie Shepp... Mais l'aventure s'avère très vite sans issue et dans les yeux livides et vitreux de Sonny Wortzik qui ponctuent la dernière scène du film, c'est bien le regard catatonique de Francis Lion Delbucchi que l'on reconnait.

Deux films auront donc suffi à Al Pacino pour composer une oeuvre. La journaliste américaine Karina Longworth en a rajouté huit de plus pour inaugurer (avec Florence Colombani qui signe également un remarquable "Marlon Brando") la collection -"Anatomie d'un acteur"- des Cahiers du Cinéma. A travers 10 rôles clés, c'est la musicalité propre à Al Pacino qui se dévoile, avec à la clé une théorie passionnante du crescendo et du decrescendo qui permet à l'acteur de moduler sa présence et ses affects en se créant, en quelque sorte, SON film dans le film.. "J'ai toujours eu le fantasme d'être dans un groupe de jazz", déclarait Al Pacino en 1979. Karina Longworth rattrape au vol cette citation pour comparer l'acteur à un saxophoniste "plaçant à l'improviste un riff qui plane au-dessus du morceau joué par le groupe"... M

Mais à trop planer on peut parfois décrocher. Le jeu à la fois expressionniste et brechtien de l'acteur dans "Scarface" marque à cet égard une première rupture à laquelle succèdent des choix de carrière plus hasardeux malgré le face-à-face sépulcral avec Robert De Niro dans "Heat". Al Pacino tombe dés lors dans l'auto-parodie. Il va même jusqu'à jouer son propre rôle dans un obscur nanar, "Jack et Julie", où on ne peut plus vraiment dire, comme autrefois, qu'il ressemble trop à Dustin Hoffman... Al Pacino ressemble surtout de plus en plus à Al Pacino ! Mais peut-être est-ce là l'élément le plus émouvant dans l'anatomie d'un acteur quand ce dernier reconnaît, devant la caméra, que ses plus belles années sont derrière lui et qu'il n'a plus l'âge de Francis Lion Delbucchi et de Sonny Wortzik...

"Anatomie d'un acteur/Al Pacino", par Karina Longworth (Editions des Cahiers du Cinéma). La journaliste sera l'invitée du coup de projecteur, sur TSFJAZZ (12H30), le jeudi 16 mai.

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