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American Sniper

Le lundi 16 février 2015, par Laurent Sapir

Deux humeurs plus complémentaires qu'antagoniques après la projection d'American Sniper : la farouche envie de défendre ce film, et surtout son réalisateur, face à ceux qui caricaturent autant son regard que son positionnement politique, mais aussi une certaine amertume à l'idée que Clint Eastwood, qui n'est plus tout jeune, finalise une filmographie d'exception avec cet opus qui, quoiqu'en dise le box-office américain, n'est pas ce qu'il a entrepris de plus passionnant.

Plutôt charmeur sous la direction de David O'Russell (Happiness Therapy et American Bluff), Bradley Cooper change de braquet en matière de virilité en interprétant Chris Kyle, pièce-maîtresse de l'US-Army en Irak avant d'être assassiné par un ex-marine de 25 ans en plein stress post-traumatique. Dans ses mémoires, ce sniper sans états d'âme, ou presque, revendiquait avoir touché ses cibles à 255 reprises à travers la lunette de son fusil. Ce serait faire un bien mauvais procès à Eastwood que de lui reprocher d'idéaliser pareil bonhomme.

Le réalisateur montre plutôt un fêlé qui, tout en étant au diapason d'une certaine Amérique patriocarde de l'après 11 septembre, se retrouve complètement décalé par rapport aux réalités de la guerre en Irak. A un moment du film, on se dit même que Chris Kyle est le seul à y croire, à cette guerre. Même son frère, qu'il croise sur le tarmac d'un aéroport, lui renvoie un regard noir sur la pseudo-fierté que l'expédition "bushiste" est censée inspirer. Le culte des armes amorcé dés l'enfance, le folklore texan (bières et rodéo...), l'incapacité à assumer un foyer...

Si Chris Kyle est une "légende", comme le surnomment ses camarades, alors disons que la mise en scène en livre un traitement pour le moins ironique sans pour autant céder à une distanciation qui serait synonyme de facilité. Elle sont bien là, l'humanité  et l'intelligence du regard de Clint Eastwood: filmer un "héros" (et aussi les drapeaux américains qui flottent partout après son assassinat...) en tant que tel sans pour autant être dupe des dégâts d'une guerre dont la caméra répertorie toutes les stigmates post-coloniales. On observera également que les Irakiens d' American Sniper ne sont pas tous réduits à l'état de tarés sanguinaires et que le plus "individualisé" d'entre eux (même si cette individualisation n'est pas le sujet du film...) offre le profil racé d'un sniper pareillement  susceptible d'être mythifié par les siens.

Un grand cinéaste reste ainsi un grand cinéaste. Malgré des maladresses et des lourdeurs, notamment en ce qui concerne la relation du personnage principal avec sa femme... Malgré, aussi, une certaine torpeur dans la façon de se formater machinalement aux paramètres du film de guerre sans jamais atteindre la transcendance du diptyque Mémoires de nos pères/Lettres d'Iwo Jima. C'est en souvenir de ces deux films qui, chacun à leur manière, racontaient une magnifique histoire d'Amérique, qu'on se prendra à rêver, pour Clint Eastwood, d'un autre testament.

American Sniper, Clint Eastwood (Sortie en salles ce 18 février)

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