Chant Song au Studio de l'Ermitage
Cordes frottées, textes enlevés, voix réenchantée... Le violoniste Mathias Lévy présentait mardi dernier au Studio de l'Ermitage son nouveau projet, "Chant Song", avec la participation de Lou Tavano. Concert inoubliable dans le cadre du festival Jazz 'N' Klezmer.
Quatre gars, une fille sur la scène de l’Ermitage. Ou peut-être l’inverse, on y reviendra. Pour l’heure, c’est l’instrumentation qui décoiffe : piano, sax, trompette et batterie se sont fait la malle. À la place : un violon, une voix, un accordéon, un violoncelle parfois transformé en guitare, et une contrebasse. Ces instruments — voix comprise — se respirent les uns les autres, à l’unisson. Jazz de chambre ? On pense évidemment à l’atypique Chico Hamilton, ce batteur qui préférait la compagnie des flûtes. Mais Chant Song de Mathias Lévy, c’est encore autre chose : un jazz de chambre, peut-être, mais qui ferait la manche, tel un orchestre de rue oscillant entre bluegrass et folk.
En vérité, le violoniste qui mène la danse s’est toujours méfié des frontières. Passant sans ciller de Grappelli à Bartók et du rock progressif au musette, Mathias Lévy aborde désormais l’art de la chanson. Il explique en début de concert qu’il y retrouve une double entrée, commune au jazz : ancrage populaire, terrain d’improvisation. Feuille de route d'autant plus excitante au regard des textes choisis : Prévert, dont les mots ressemblent déjà à des notes (Chant Song), Blaise Cendrars et ses désirs d'ailleurs (Îles, L’Espoir…), ou encore l’étrangeté inquiète de Joyce (La Nuit). Des compos personnelles, comme celle que Mathias Lévy dédie à sa sœur, apportent une touche poignante, voire lyrique, à l’instar du merveilleux Batouque qui en appelle à "la révolte, l’espoir et la joie". Cerise sur le maelström, Tous les cris les SOS, l’une des plus belles chansons de Daniel Balavoine.
Dans l'écrin tamisé du Studio de l'Ermitage - quelle belle scène, vraiment ! - l'ensemble fait penser à une veillée. C'est plein de lyrisme, de poésie, de liberté et de générosité. Tutélaire et minéral, le grand Jean-Philippe Viret donne le la avec sa contrebasse, la frottant parfois à l’archet. Sébastien Giniaux fait de même avec son violoncelle-aquarelle (ce musicien a toujours mêlé musique et peinture...), jusqu'à le faire sonner comme une guitare. Laurent Derache, lui, emmène tout le monde en voyage, faisant tourbillonner son accordéon vers on ne sait quelle contrée de l’Europe orientale : un shtetl, peut-être, ou un village rom des Balkans. Les mêmes accents tziganes ou klezmer affleurent au violon. Mathias Lévy le fait tour à tour exulter ou sangloter, parfois dans le même mouvement. Dit autrement, il a le désespoir joyeux. L'émotion culmine quand le groupe rend hommage au contrebassiste d'origine hongroise Matyas Szandai, parti il y a deux ans.
Et puis il y a Elle... En intégrant un projet comme Chant Song, Lou Tavano trouve un nouvel élan. Cet esprit de troupe la transfigure et la réenchante. Elle en fait vibrert tous les versants, de l'allégresse à la mélancolie, jusqu'à ce Laisse Aller qu'elle a elle-même composé, un texte d'une concision déchirante où il est notamment question d' "amants déliés". Sa présence scénique, elle, est toujours aussi phénoménale, entre esprit cabaret (Un Kurt Weill Songbook lui irait à ravir...), sortilèges d'onomatopées, souffle à fleur de peau. À la fin du concert, on croise son pianiste de cœur, Alexey Asantscheev, avec lequel la chanteuse a déjà signé trois albums. "C'est le projet de Lou que je préfère", lâche-t-il.
Chant Song, Mathias Lévy (Label KOM). En concert mardi dernier 18 novembre au Studio de l'Ermitage, à Paris, dans le cadre du festival Jazz 'N' Klezmer.
Crédits photo: David Quesemand