Nino

Entre un diagnostic qui n'est pas de son âge et le début de son traitement trois jours plus tard, Nino flotte comme en apnée devant la caméra si tactile de Pauline Loquès. Résultat : un diamant brut de sensibilité au diapason des masculinités contemporaines.
Tic toc, tic toc... On est vendredi, Nino vient d’apprendre qu’il a un cancer de la gorge et sa première chimio est fixée au lundi suivant. Tout pourrait dès lors s’écrouler autour de ce jeune gars de 29 ans si Pauline Loquès, pour son premier long-métrage, ne transformait pas la chape de plomb en nouvel élan. Il en allait de même pour l’héroïne d’Agnès Varda dans Cléo de 5 à 7, même si elle n’avait pas encore le résultat de ses analyses. Alors elle déambulait, faisait des rencontres, trouvait des dérivatifs et le monde, soudain, lui apparaissait sous un jour nouveau, notamment sous les traits d’un soldat-confident.
Nino aussi enchaîne les échappatoires, ou plutôt il les subit. Cherchant partout les clés de son appartement, le voilà projeté dans la ville, au cœur d'un nord-est parisien dont la caméra effleure les clairs-obscurs. Il lui faut aussi songer à sa fertilité que la chimio peut détraquer. Seul remède, le prélèvement de sperme, à congeler le temps du traitement... comme s’il avait la tête à ça. À ce point dans la confusion, Nino n’a même pas le temps de se laisser abattre. Encore moins de donner sens à ce qui lui arrive. Il flotte, ballotté d’une compagnie à l’autre : sa mère (Jeanne Balibar) à qui il n’ose dire la vérité, un compagnon de vestiaire un peu loufoque croisé dans une douche publique (Mathieu Amalric), ou encore son meilleur pote (William Lebghil, déjà si génial dans La Vie de ma mère) pas si détaché qu’il en a l’air.
Il croise aussi son époque, tous ces jeunes gens qui tentent de donner sens au travail ou au couple, ces femmes qui ont cheminé avec #MeToo. Leurs propos pourraient lui sembler dérisoires au regard de l’épreuve qui est la sienne, mais en même temps, ça le reconnecte au monde et à lui-même. Jusqu’à ces retrouvailles avec une ancienne camarade de collège (Salomé Dewaels) croisée au hasard et à qui il peut confier ce qu’il a sur le cœur. Reste à savoir si les paroles comptent lorsque la maladie attaque la gorge. Dans ce joyau d’humanité tactile qu’est Nino, on préfère se toucher et se prendre dans les bras, sans même tomber dans l’ambiguïté sexuelle.
Au bord du gouffre, donc, la lumière… Pauline Loquès lui donne tout son éclat grâce au comédien qui joue Nino, Théodore Pellerin. Solaire et fragile, comme l’était Gérard Lanvin à ses débuts, cet acteur québécois incarne une masculinité rarement montrée à l’écran. La réalisatrice en parle joliment au micro de TSFJAZZ : « Il est vulnérable, mais je ne voulais pas qu’il incarne une sorte de fébrilité. Il a aussi ce corps majestueux, cette carrure graphique. Il ne s’excuse pas de marcher. » Une masculinité, là encore, qui porte le sceau de notre époque. En attendant, trois jours ont passé, Nino est prêt pour sa première chimio, invincible, peut-être, au terme de ce qui est jusqu'ici le plus beau film français de l’année.
Nino, Pauline Loquès, prix d’interprétation pour Théodore Pellerin à la Semaine de la Critique à Cannes. Sortie en salles le 17 septembre. Coup de projecteur avec la réalisatrice l’avant-veille sur TSFJAZZ (13h30)