La journée de la jupe (en dvd)

Les films qui se déroulent en milieu scolaire n'ont pas toujours bonne presse. "L'Esquive" et "Entre les murs" ont enchanté critiques et bobos, mais pour "La journée de la jupe ", relégué dans la case "téléfilm" au printemps parce que les exploitants de salles lui refusaient une diffusion conséquente sur grand écran, ce fut le tableau noir. Du haut de leurs magistères, de doctes plumes usèrent de ce qui leur restait d'œillères inquisitoriales du fond de leur évanescence idéologique pour décréter à quel point Jean-Paul Lilenfield s'était fourvoyé dans le mauvais camp.
On accusait tour à tour le réalisateur de vouloir salir la banlieue, de donner libre cours aux clichés islamophobes, ou encore de verser dans la caricature du corps enseignant... Les officines lepéno-laïcardes s'en donnaient elles-mêmes à coeur joie dans la récupération politique du film. "La journée de la jupe "a en même temps trouvé son public, peu à peu. Le film a tourné dans de nombreuses villes, notamment en banlieue. Il a secoué beaucoup de monde. Il s'est échappé de la récup et de l''Inquisition pour tout simplement tenir en haleine et bouleverser des dizaines de milliers de spectateurs qui ont d'abord apprécié la mise en scène, le rythme, l'interprétation et la vérité des personnages. Pour ma part, je n'ai jamais été tenté de voir dans la folle odyssée de Sonia Bergerac, cette prof dépressive entraînée malgré elle dans une prise d'otage sans queue ni tête, un appel à enseigner Molière sous la menace d'une arme à feu.
"La Journée de la jupe " fonctionne à vrai dire dans un tout autre registre. Sur le mode du thriller halluciné et avec le format et les contraintes budgétaires qui lui ont été imposées, Jean-Paul Lilenfield ose toutes les embardées scénaristiques. A la limite du fantastique, il fait sauter la marmite en précipitant ses personnages dans un drame qui peut être lu à plusieurs niveaux, et certainement pas sous le seul angle de la vraisemblance. Le principal enjeu, en fait, et on reprend là les mots de Philippe Meirieu, figure de proue du mouvement éducatif qu'on ne peut soupçonner d'aucun penchant réactionnaire, c'est la "rage d'instruire " dont fait preuve le personnage joué par Isabelle Adjani.
Cette rage d'instruire, elle n'est pas consubstantielle à notre époque. De tous temps, des profs, des instits, se sont retrouvés seuls et impuissants face à des masses d'élèves incapables de recevoir un enseignement quelconque pour des raisons plus ou moins liées à leur environnement... Dans "La Journée de la jupe ", ce n'est pas l'Islam, l'insécurité ou l'angélisme éducatif qui posent problème, mais plutôt l'abrutissement suscité par une société de consommation qui a disjoncté les règles élémentaires du "vivre ensemble" dans une "surchauffe pulsionnelle et individualiste " -là encore, on reprend les mots de Meirieu-dont les gosses du film portent à peu près tous les stigmates, la dérégulation allant jusqu'à anéantir toute relation "humaine" entre garçons et filles.
C'est dans cette façon de balayer le politiquement correct que "La journée de la jupe " atteint les dimensions d'un cinéma incorruptible... Disons-le franchement: Sonia Bergerac est une enseignante beaucoup plus courageuse que le prof mollasson et démago incarné par François Bégaudeau dans "Entre les murs "... Il est vrai que c'est Isabelle Adjani qui l'incarne... Rarement on ne l'a vu aussi vraie, aussi impliquée, aussi contemporaine, alors qu'elle nous semblait perdue pour le cinéma depuis qu'elle était passée de François Truffaut à la Reine Margot.
La Journée de la Jupe, de Jean-Paul Lilenfield (Sortie en DVD, chez Arte Vidéo, le 23 septembre)