Mercredi 2 octobre 2024 par Laurent Sapir

DJ Mehdi: made in... TSFJAZZ

"DJ Mehdi: Made in France", documentaire d'anthologie en replay sur Arte, ne concerne pas seulement les fans de rap et d'électro. Le trompettiste Ludovic Louis nous en parlera vendredi lors d'une carte blanche dans "Deli Express"

 

Comment devient-on DJ Mehdi, ce frérot, ce prince, cet Amadeus du rap et de l'électro mort à 34 ans ? En écoutant très tôt le Kind of Blue de Miles Davis dont il perçoit déjà l'incommensurable beauté ? En s'appuyant sur toute la mémoire du monde, musicalement parlant, pour inventer d'autres sonorités et ensorceler discrètement les nouvelles générations ? DJ Mehdi: made in France, série documentaire d'anthologie diffusée récemment sur Arte (et en replay sur le site de la chaîne...) donne en tout cas suffisamment de grain à moudre dès lors qu'on tente de donner sens à la création musicale au-delà des frontières entre tel ou tel répertoire.

Voici donc le parfait "agent de liaison", comme l'écrit Le Monde -"agent double ", disait pour sa part le regretté Pierre Bouteiller. De Gennevilliers à Colombes, l'épopée de DJ Mehdi telle que la retrace son ami de longue date, Thibault de Longeville, s'enracine dans un grand mix entre les Hauts-de-Seine, l'Ardèche, d'où est originaire son père, et la Tunisie d'où vient la mère et tous ses frères et sœurs. Milieu partageur: funk et sonorités orientales, Bob Dylan et les Beatles... et aussi, donc, Miles Davis, surgissant d'une collection de vinyles lors d'une scène aussi courte que fondatrice. Dès 12 ans, le gamin écoute, ingurgite, bidouille... jusqu'à fabriquer lui-même un appareil à "sampler" qui permet d'isoler et de triturer un bout de musique existante pour en faire le socle d'un nouveau morceau. Une aubaine pour tous les apprentis-rappeurs en quête d'accompagnement musical.

Des gars du 94 (Vitry, l'opposé géographique de Colombes...) ayant à peu près le même âge passent par là. Emmenés par un autre prodige, Kery James, ils forment Ideal J. puis, plus tard, le groupe 113, tout aussi allergique au rap commercial. Leur prose drue, le jeune DJ d'enrobe d'orchestrations lustrales. Qui transmet vraiment à l'autre -ou aux autres- l'humilité ? Qu'importe, elle crève l'écran même si au départ, la tchatche un peu tape-à-l'œil de ces rappeurs tombe dans le cliché. Le résultat en tout cas détonne. Juste avant l'an 2000, l'album Les Princes de la ville défonce tout, mais DJ Mehdi semble déjà ailleurs, comme si ses ponctuations électro sur ce disque amorçaient une grande bifurcation.

Mais passe-t-il vraiment dans le camp ennemi en se rapprochant des Daft Punk et autres héros de la French Touch ? Le docu s'attarde sur la guéguerre entre les rappeurs des cités et les aficionados des rave-parties venus des beaux quartiers avant de rappeler à juste titre les racines afro de l'électro. De quoi pousser DJ Mehdi à casser encore plus les codes même si ses propres albums n'ont jamais vraiment rencontré le succès. Le 14 septembre 2011, la verrière sur laquelle il est monté avec trois de ses amis dans un loft parisien du 11e cède sous leur poids. L'émotion traverse les frontières: Pharrel Williams et Kanye West, entre autres, rendent hommage au jeune producteur prodige.. DJ Mehdi: made in France restitue la légende avec brio, au gré de six volets prodigieusement montés et agencés, mais avec aussi en arrière-plan le devenir de toute une génération entre crise des banlieues et montée de l'extrême-droite. À la fois fédérateur et subversif (comme l'était Miles Davis...), DJ Mehdi en est désormais une personnalité emblèmatique promise à une nouvelle postérité.

DJ Mehdi: made in France, Thibault de Longeville, documentaire en six parties. En replay sur Arte. Le trompettiste Ludovic Louis reviendra sur DJ Mehdi ce vendredi 4 octobre, en 12h et 13h, dans l'émission "Deli Express" où il aura carte blanche...