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DAVE BRUBECK / PAUL DESMOND

Une vie cachée

Le mardi 10 décembre 2019, par Laurent Sapir
"Une vie cachée" ou la résurrection de Terrence Malick dans une symphonie déchirante dédiée à un homme qui dit tout naturellement NON à la barbarie du genre humain. Un film d'une beauté et d'un lyrisme sans nom.

Grâce à Terrence Malick, le parcours de Franz Jagerstätter n'est plus une vie cachée. Ce montagnard catholique obstinément rétif au nazisme depuis son village du Tyrol autrichien méritait mieux, à vrai dire, qu'une banale béatification sous les auspices du terne Benoit XVI. Le voici désormais, et au sens le plus humain du terme, "sanctifié" dans un film-monde digne du réalisateur de The Tree of Life lorsqu'il ne s'égare pas dans des ovnis abscons pour stars hollywoodiennes vitrifiées. 

Terminés, les patchworks indigents façon Song to Song ou Knight of Cups. Revenant à un schéma narratif des plus classiques que sa mise en en scène enrobe dans un flux sensoriel dont il a le secret, Terrence Malick remonte en premier lieu à la source d'un bonheur pastoral. Au milieu des montagnes et des torrents, des corps frémissent et s'effleurent en travaillant la terre: FranzFani et leurs trois filles dont les bouclettes se confondent avec les champs de blé. Le vent souffle à l'écran, l'azur perce dans la vallée, ça sent la luzerne et l'herbe verte. Focales à fleur de peau, grands angles au fil des saisons... Bref, l'éden.

Le trouble survient assez vite, pourtant. Des images d'archives exhument Hitler dans son nid d'aigle de Berchtesgaden. Décor tout aussi bucolique, comme si la barbarie -c'était déjà le cas dans La Ligne Rouge- n'avait que faire des paysages naturels les plus idylliques. Le fracas d'une locomotive commence dès lors à hanter les nuits du personnage principal. Il ne votera pas pour l'Anschluss. Il ne prêtera pas allégeance au Reich. Il ne servira pas sous l'armée allemande. De quoi susciter, autour de Franz, l'éloignement, les pressions des prêtres et des notables, l'hostilité des anciens amis. L'inquiétude des proches, également, jusqu'à cette si dangereuse année 1943...

Chemin de croix ? Peut-être, mais alors sans sermons. La voix-off qui caractérise tant les films de Terrence Malick ne se réfère ici à aucun missel. Plutôt à un dilemme abyssal: se taire, rentrer dans le moule, opter pour un confort tout relatif en période de guerre mais qui au moins ne met pas les siens à l'épreuve, ou alors persister à dire tout naturellement, tout tragiquement, tout spirituellement NON à la barbarie du genre humain, même si l'acte paraît inutile, même s'il faut en passer, d'une certaine manière, par le silence de Dieu.

Des pâturages alpestres à la pénombre d'une prison, la symphonie vire à l'oratorio. Vibrato tout en douceur organique d'August Diehl dans le rôle de Franz, face-à-face mémorable avec Bruno Ganz en juge nazi qui tranche avec les brutes de son espèce, final glaçant, au bout de presque trois heures d'émotion pure, lorsque derrière un grand rideau surgit un bourreau au chapeau noir. Et puis ces derniers mots d'une femme à son mari: "Je te rencontrerai là-bas. Dans les montagnes", promesse ineffable au diapason d'un film d'une beauté, d'une rigueur et d'un lyrisme sans nom.

Une vie cachée, Terrence Malick, festival de Cannes 2019, sortie en salles ce mercredi 11 décembre. Coup de projecteur sur TSFJAZZ, le même jour (13h30), avec l'éditeur Sylvain Gasser qui sort chez Bayard Etre catholique ou nazi , ouvrage regroupant des textes de Franz Jagerstätter traduits pour la première fois en français.

 

 

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