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Une histoire du jazz en France (du milieu du XIXe à 1929)

Le mercredi 19 novembre 2014, par Laurent Sapir

Peu friand de mythes, de raccourcis et d'exagérations, Laurent Cugny a pourtant réussi une très belle fresque en relatant les débuts du jazz en France. Chef d'orchestre à nouveau comblé (Son Gil Evans Paris Workshop a pris un excellent départ au Studio de l'Ermitage...), c'est l'autre facette de son parcours, auréolée d'une chaire d'enseignant à la Sorbonne, qui est mise en valeur dans ce 1er volet d' "Une histoire du jazz en France".

em>"Une" histoire, donc, comme pour mieux souligner la part de subjectivité dans la pertinence de l'analyse. "Jazz en France" et non pas jazz français, tant les débuts de cette musique dans l'hexagone ont fait intervenir des acteurs de toute nationalité. 1929, enfin, comme baisser de rideau du premier acte. On approche alors d'un célèbre krach boursier,  Sidney Bechet est envoyé en tôle pour avoir joué les duellistes avec un joueur de banjo tandis que le très bling bling Boeuf sur le Toit est contraint de changer d'adresse. Au même moment, un certain Django Reinhardt, appuyé par un Hugues Panassié tout aussi vindicatif dans son registre à lui, se prépare à affirmer une direction musicale donnant au jazz une toute autre figure.

De quoi rompre avec une période à la fois étrange, floue, ambigüe. Se confondant avec le music-hall et les musiques de danse, associé à un bruit exotique, à un instrument ou à un style de vie, fondu dans un précipité dont les premières germes remontent sans doute à 1844, lorsque les premiers Minstrels Noirs viennent jouer à Paris, le jazz provoque une inflation, voire même une inflammation de discours.  "Au fond, écrit Laurent Cugnypersonne ne sait bien ce qu'est le jazz pendant toute la décennie 1920, mais beaucoup de gens l'aiment (certains le détestent aussi), et surtout en aiment l'idée".

C'est cet objet "fuyant" et ce périmètre indéfini que l'auteur s'efforce de circonscrire avec rigueur et humilité, se défiant tout à la fois des jugements préconçus et d'une neutralité flottante. Laurent Cugny s'interroge notamment sur l'impact du "proto-jazz" militaire de Jim Europe au sortir de la 1ère Guerre Mondiale alors même qu'un autre Afro-Américain, le batteur et leader de jazz-band Louis Mitchell, est déjà bien installé et que sa musique se rapproche d'avantage du Jazz Hot. Autre constat qui laisse rêveur, la suprématie, durant toute cette période, du "jazz symphonique" de Paul Whiteman, encore préservé de la prose furibarde d'un Panassié même si Darius Milhaud a déjà lâché les chiens en stigmatisant un "galop propret"... Ce jazz "civilisé" marque les premiers orchestres (Gregor, Ray Ventura...) français. Il entraîne, surtout, une réception académique du jazz, perçu comme une musique régénératrice mais qui, pour échapper à l'infantilisme, doit évoluer dans la forme et l'écriture, évolution qui, évidemment, ne peut être le fait que de musiciens blancs et européens.

Ces doctes esprits n'ont évidemment pas connaissance des disques de King Olivier, Louis Armstrong, Duke Ellington... De Joséphine Baker, ils ne retiennent que la danseuse (et la banane !) et surtout pas la chanteuse ni la musique qui l'entoure, et il ne leur viendrait même pas à l'esprit d'aller écouter ce qui se joue déjà au pied de la Butte, dans les premiers troquets montmartrois. La bande à Cocteau n'est pas plus clairvoyante, contrairement au chapitre que lui consacre Laurent Cugny, notamment lorsqu'il observe que Jean Cocteau a d'abord conçu le jazz "comme objet médié, médiateur, et aussi, pour risquer un anachronisme, médiatique"...

C'est avec les mots d'Aragon dans Aurélien et ceux de Claude McKay dans le méconnu Banjo que surgit une approche véritablement "sensuelle" de cette musique. Sensualité. Le mot, aux yeux de Laurent Cugny, parait plus opérationnel que la notion même d' "authenticité" qui donnera lieu, dans les décennies suivantes, à d'autres malentendus. On prend d'ores et déjà rendez-vous avec l'érudit musicien pour rendre ce 2e tome aussi passionnant que le premier.

Une histoire du Jazz en France. Du milieu du XIXe siècle à 1929, Laurent Cugny (Editions Outre Mesure). 20h de TSFJAZZ avec l'auteur, le mardi 2 décembre.

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