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EDDIE HARRIS

Un Tramway

Le mercredi 10 février 2010, par Laurent Sapir

Dans le cultissime "Tramway nommé désir" qu' Elia Kazan réalise en 1951, c'est autour de Marlon Brando que se déploie la mise en scène. Maillot luisant,  regard lascif... On est à la Nouvelle-Orléans, avec en arrière-plan une B.O. moite et jazzée, et le Stanley Kowalski de Tennessee Williams affole tout sur son passage. Il est d'abord fauve avant d'être humain, et face à lui évidemment, autant en emporte la malheureuse et pâlotte Vivian Leigh, Scarlett défroquée condamnée à tous les tourments sous le nom de Blanche DuBois.

Elle aura donc attendu près de 60 ans, Blanche, pour prendre sa revanche, car dans le "Tramway" que Krzysztof  Warlikowski a monté sur la scène de l'Odéon, eh bien c'est enfin autour d'elle, Blanche la déjantée, que tout se joue et se déjoue. C'est sa folie qui est au coeur de la pièce, et quand elle débarque en  instit' bourgeoise et vaguement nymphomane chez sa soeur Stella et son prolo de mari, c'est d'abord elle qui met le feu.

On ne voit qu'elle, on ne voit qu'Isabelle Huppert... Certains critiques se sont offusqués de lire, dans le petit livret distribué à l'entrée de la salle, que "mademoiselle Huppert était habillée par la maison Yves Saint Laurent et la maison Christian Dior"... Et alors ? Elle n'a pas le droit à Dior et à Yves Saint Laurent, Blanche DuBois ? Elle n'en a pas assez bavé, peut-être, avec tous ses malheurs, tout son passé atroce de névrosée puissance 10 000 qu'elle tente de noyer dans une série de trous noirs et de contournements du réel avant de finir en clinique ? Dans le "Tramway" de l'Odéon, Isabelle Huppert est tour à tour sexy et monstrueuse, aguichante et légumisée, caustique et décharnée. Elle se gratte comme une tordue compulsive, et puis elle se fait belle et blonde genre Laura Palmer. Elle est gazelle, lionne et fauve à la fois. Fauve comme le Kowalski d'Elia Kazan. Comme si il y avait quelque chose  de Brando en elle...

C'est aussi ça, la revanche de Blanche DuBois... L'univers scénographique de Warlikowski est parfaitement ajusté en tout cas à la performance de l'actrice. Vitrages, plexiglas, reflets de miroir, micros et vidéo... La chute du personnage principal est déjà inscrite dans ce décor high tech et glacé, à l'image de cette grande salle de bowling où Blanche DuBois prend parfois des airs de "chienne" dans un jeu de quilles.

Que de richesses, en fin de compte, en l'espace d'une soirée... Alors certes, il y a aussi un peu de boursouflé dans cette aventure. Des textes issus d'autres oeuvres ont été rajoutés, ainsi que trois ou quatre chansons disco, et on s'en serait bien passé. Mais l'essentiel n'est pas là. L'essentiel, c'est la façon dont Isabelle Huppert prononce à chaque fois le nom de son ennemi juré "Stanley Kowaaaaalski !"... L'essentiel, c'est la combustion permanente qui irrigue la mise en scène et l'interprétation. L'essentiel, c'est ce goût du risque et du hors-normes qui fait dire aujourd'hui à notre nouvelle Sarah Bernhardt que "le théâtre, c'est comme Attila: ça brûle tout sur son passage, et ça ne vous laisse rien"...

"Un Tramway", mise en scène de Krzysztof Warlikowski, au théâtre de l'Odéon, à Paris (jusqu'au 3 avril)

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