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ELLA FITZGERALD

The Father

Le dimanche 23 mai 2021, par Laurent Sapir
En transformant une mémoire qui flanche en labyrinthe spatio-temporel où le spectateur cherche lui aussi ses repères, Florian Zeller et Anthony Hopkins n'ont pas volé leur Oscar. Ne manquez pas l'étonnant "The Father"...

Sa prestance n'a rien d'un lointain souvenir. Pour le reste, hélas, tout se dérobe et s'enchevêtre dans la mémoire d'Anthony, veuf londonien qui ne sait plus vraiment à qui ni à quoi se fier. Ces visages qui lui apparaissent soudainement étrangers (celui de son gendre, notamment...), cet appartement qui n'est peut-être plus le sien, les confidences de sa fille qui parle de l'abandonner dans un EHPAD pour aller vivre à Paris avec son nouvel amoureux avant de lui avouer tout de go qu'elle n'a jamais songé à un tel voyage... Autant de repères désaccordés, comme les aiguilles d'une montre égarée en permanence.

Ce labyrinthe spatio-temporel propre à la maladie d'Alzheimer, Florian Zeller l'a d'abord restitué au théâtre, puis à l'écran avec un parti pris qui tourne le dos au pathos. S'apitoyer, après tout, c'est encore faire preuve de distance. Embarquer le spectateur dans les propres méandres effilochés de l'esprit d'Anthony relève d'un tout autre défi, à la fois humain et cinématographique. Épousant le point de vue du vieil homme plutôt que celui de ses proches, la mise en scène se déploie dès lors dans une succession de distorsions du réel. Une situation nous apparaît dans sa clarté puis dans ses faux semblants, sans que jamais le fil narratif ne soit rompu. 

Pour ses premiers pas derrière la caméra, Florian Zeller fait preuve d'une étonnante maîtrise de l'espace. L'appartement prend lui aussi, par petites touches, l'apparence d'un puzzle dont son locataire peine à rassembler les pièces. Difficile de ne pas penser à Polanski dans ce huis clos recelant de chausse-trapes même si l'ensemble reste baigné d'une douce lumière automnale qui contraste avec la descente aux enfers d'Anthony. La partition hypnotique et contemplative de Ludovico Einaudi accentue cette impression d'ultime sonate, telle une dernière gorgée de tendresse devant un homme qui tombe.

 L'immense Anthony Hopkins n'a pas volé son nouvel Oscar. Au côté d'une Olivia Colman qui, toute en retenue et en intensité émotionnelle, fait mieux que lui tenir la dragée haute dans le rôle d'une fille parfois aussi perdue que son père, l'acteur ajoute un nouveau chapitre à sa légende. À ce personnage de veuf dépouillé de sa superbe, il offre toute une palette d'humeurs entre dureté, cynisme, séduction, désarroi et effondrement. Du très grand art, au diapason d'une œuvre formellement accomplie et d'un propos aussi poignant que captivant. 

The Father, Florian Zeller, Oscars du meilleur scénario et du meilleur acteur (Sortie en salles le 26 mai)

 
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