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TAKE THESE CHAINS FROM MY HEART
MADELEINE PEYROUX

The Disciple

Le mardi 11 mai 2021, par Laurent Sapir
Un musicien raté peut éventuellement devenir un grand personnage de cinéma. "The Disciple", du cinéaste indien Chaitanya Tamhane, en apporte la très fine démonstration. Actuellement sur Netflix.

Il n'écoute pas, il se répète, il ne dégage pas assez la gorge. Qui peut encore sauver le soldat Sharad Nerulkar, médiocre chanteur de râgas indiens comme l'était déjà son père? Les auditions et les compétitions s'enchaînent, comme les désillusions. Pas de boulot, pas de copine, des vidéos pornos comme seuls moments de détente. Cet effort-là, au moins, est récompensé.

Pendant ses trajets en moto filmés au ralenti, l'artiste raté s'écoute dans le casque les préceptes d'une ancienne vestale du chant classique indien. Philosophie à deux balles rhapsodiée par une vieille sorcière qui n'était pas franchement la pureté morale incarnée, apprendra-t-on plus tard. Bref, c'est un peu l'anti-Salon de musique de Satyajit Ray, ce deuxième long-métrage de Chaitanya Tamhane produit par Alfonso Cuaron. Il est vrai que le focus est d'abord porté ici sur les fausses notes au gré d'un récit rudement bien construit.

Ainsi retrouve-t-on le personnage principal quelques années plus tard dans la peau d'un prof de chant ayant renoncé à toute transcendance personnelle mais qui s'accroche toujours à son ancienne culture. La silhouette désormais empâtée, le voilà en train de regarder à la télé, consterné, une version indienne de The Voice. Sauf que cette façon qu'il a d'incarner la tradition nous tient toujours à distance. Sharad reste dévoré par son ego, fût-il en lambeaux. Sa soif de pureté hérisse. Elle nous est même insupportable lorsqu'il en vient à sermonner cruellement l'un des élèves de sa classe qui veut rejoindre un groupe aux sonorités plus contemporaines.

Comment progresser dans son art? Faut-il forcément suivre certains gourous? Un passeur n'est-il pas aussi à sa manière un créateur? Face à ces questions qui passionneront tout musicien ou apprenti-musicien qui se respecte, la mise en scène, parfois aussi nonchalante qu'un râga indien, évite les réponses au gros feutre. Elle semble même ménager une ultime issue de secours à notre héros prodigieusement campé par Aditya Modak, aussi à l'aise dans le martyr, l'aigreur, et peut-être aussi, au final, l'humilité. Le jury de la dernière Mostra de Venise a préféré pour sa part primer le scénario. Le choix peut se comprendre.

The Disciple, Chaitanya Tamhane, Prix du meilleur scénario à la Mostra de Venise, actuellement sur Netflix.

 
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