Dimanche 7 septembre 2025 par Laurent Sapir

Sirât

Rave party, désert, convoi et champ de mines...  "Sirât", d'Oliver Laxe, déploie tous les attraits d'un grand film post-apocalyptique, structuré par sa bande sonore. Prix du Jury à Cannes.

 

Les références sautent aux yeux dans Sirât, road-trip halluciné et mystique signé du Franco-espagnol Oliver Laxe : Mad Max pour le côté aventurier, Zabriskie Point, Gerry et Macadam à deux voies pour le désert comme parabole mentale. Le film emprunte pourtant un cheminement qui lui est propre, autant sur le plan musical - on y reviendra -  qu'à travers le regard profondément humain porté sur tous les personnages. À ce titre, les plus rugueux d'entre eux, saisis dans un environnement tout aussi âpre, ne sont pas non plus sans rappeler les marginaux itinérants de Nomadland (Chloé Zhao, 2021). Entre la glaise et l'asphalte, la caméra caressait leurs gestes, leurs visages. La quête de soi, là encore, faisait partie de l'aventure.

Ils sont deux au départ : un père, campé par Sergi Lopez, et son fils préadolescent dont la sœur aînée n'a plus donné de nouvelles depuis sa participation à une rave en plein désert marocain. Lancé à sa recherche, le père croise des ravers et leur présente la photo de la disparue. Soudain, l'Apocalypse. Les chars de l'armée, l'état d'urgence, la radio qui se fait l'écho d'une guerre dévastatrice, peut-être mondiale... Le père et son fils se mettent alors à suivre cinq "teufeurs" censés rejoindre en camion une autre fête près de la frontière mauritanienne, où se trouverait peut-être la fugitive. En attendant, il faut trouver de l'essence pour le convoi.

Sirât embraye alors pleinement, jouant du contraste entre les deux visiteurs arrachés à leur confort et la poignée de desperados qui les entoure, parmi lesquels un manchot et un unijambiste. Clochards célestes ? Au micro de TSFJAZZ, Oliver Laxe préfère citer Saint François d'Assise ("La grâce est dans le disgracieux") et le poète persan Rûmî ("Les cœurs cassés sont les plus beaux car ils laissent passer la lumière à travers leurs fissures"). Ce beau regard prend toute son ampleur lorsqu'entre deux flancs de falaise, le cinéaste met ses personnages à l'épreuve. Dans un double mouvement mêlant dérive et bascule, la narration prend un tour plus métaphysique mais pas moins captivant. Oliver Laxe connaît son Stalker par cœur. Du chef-d’œuvre de Tarkovski, il a certainement retenu l'odyssée vers "la Zone", cet espace sombre et piégé dont les personnages tentent de désamorcer les menaces par des gestes mystérieux, à l'instar des fameux petits boulons enrubannés de tissu jetés à l'aveuglette.

Une réplique fuse à au moins deux reprises : "Ne réfléchis pas !". Il est fort possible de résister à ce conseil et de se la jouer grincheux lorsque le récit disjoncte volontairement - parfois violemment - les lignes narratives qu'il esquissait. On gagnera davantage, cependant, à se laisser emporter par le moment de transe final, surtout avec une mise en scène d'une force sensorielle et visuelle rare. De fait, Sirât, qui signifie "le chemin" dans la tradition islamique en termes de rectitude et d'épreuve spirituelle, distille les envoûtements d'une cérémonie initiatique. La matière sonore et musicale qui l'enrobe - ou plutôt qui la structure - y contribue magnifiquement, non seulement parce qu'elle est intégrée de façon stupéfiante au décor (les immenses enceintes au début du film semblent faire partie du paysage rocheux et désertique...), mais aussi parce qu'elle donne une âme à un genre musical décrié justement pour son vernis mécanique. "Non, ce n'est pas toujours le même son", explique à un moment l'un des personnages à Sergi Lopez. L'expérience vaut vraiment le déplacement.

Sirât, Oliver Laxe, Prix du Jury à Cannes. Sortie en salles ce 10 septembre. Coup de projecteur la veille, sur TSFJAZZ (8h30), avec le réalisateur.