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Scarlett

Le samedi 15 janvier 2022, par Laurent Sapir
Finesse, humour, sens de la mise en scène... Le nouveau roman-enquête de François-Guillaume Lorrain, "Scarlett ", rend également justice à Hattie McDaniel qui endossa l'un des rôles les plus décriés de "Autant en emporte le vent"...

Voilà un auteur pour qui le cinéma est aussi un roman. Après avoir sublimé le trio Rossellini, Bergman, Magnani dans   L'Année des volcansFrançois-Guillaume Lorrain (à qui l'on doit aussi le poignant Vous êtes de la famille ?)se penche sur la genèse pareillement épique d'un film dont on croit tout connaître... Un film damné, également, pour ne pas dire condamné depuis que sa tonalité ségrégationniste, ranimée par des polémiques récentes, a occulté les autres dimensions d'une aventure cinématographique démesurée qui raconte à sa manière une histoire d'Amérique.

Avec la finesse qui le caractérise, François-Guillaume Lorrain tient évidemment compte de ce contexte lorsqu'il évoque l'adaptation à l'écran d'Autant en emporte le vent et la géniale mégalomanie de son producteur, David O. Selznick. En témoigne la place qu'il accorde à Hattie McDaniel, qui jouait la domestique noire de Scarlett O'Hara. La voilà prise entre le marteau et l'enclume: méprisée par les Blancs, mais aussi par les militants noirs des années trente aux yeux desquels elle trahit la cause en se commettant dans une version rose de l'esclavage.

On l'aura compris, les "woke" n'ont rien inventé. Déjà, à l'époque, Autant en emporte le vent est scruté à la loupe par les ancêtres de Black Lives Matter. Hattie McDaniel résiste elle aussi, à sa façon, jusqu'à marmonner une partie de son texte pour ne pas avoir à prononcer le mot "niggers"... Un Oscar -le premier pour une comédienne afro-américaine- viendra auréoler son rôle sauf qu'au Pacific Club, où toute l'équipe du film s'apprête à fêter la razzia de récompenses, l'entrée n'est réservée qu'aux blancs.

Que d'autisme dans cet âge d'or ! Alors même que le film va subjuguer des Américains pourtant rétifs à toute évocation de la Guerre de Sécession, ses protagonistes font comme si Hitler ne s'apprêtait pas à ravager l'Europe. Un rire "lugubre et glaçant " emblématise cet aveuglement, celui de Charlie Chaplin préparant Le Dictateur et se sentant obligé au même moment d'inviter à un dîner Selznick pour faire plaisir à son épouse, Paulette Goddard, laquelle rêve d'endosser le rôle de Scarlett.

Allors en perte de vitesse, Katharine Hepburn aurait pu elle aussi décrocher la timbale. Nourri d'un humour croustillant, son face-à-face avec Selznick en décide autrement: "Pourrait-on sérieusement croire que Clark Gable la poursuivait durant des années pour l'épouser ? Et quand il l'emmenait de force dans la chambre conjugale ? Pouvait-on violer Katharine Hepburn ? L'inverse semblait plus crédible "... Alors ce sera la petite Anglaise, Vivien Leigh: "Chipie, lady, sans-gêne, teigne, séductrice, boulet de canon ", télégraphie le réalisateur George Cukor (bientôt chassé du film) après une première audition. "Cocktail Scarlett ! Il est temps d'y goûter ", lui répond le producteur.

Le cocktail de médicament sera plus délétère. Dans l'un des tests auxquels elle s'est soumise pour le rôle de Scarlett, on devine déjà la folie qui consumera bientôt la comédienne, notamment après sa prestation dans Un tramway nommé désir. Au moment où elle se sent rendre l'âme, Hattie McDaniel aura quant à elle des "envies de blancheur ": un voile blanc et des gardénias avec des grandes feuilles toutes blanches, comme ceux qu'elle portait dans ses cheveux le soir des Oscars. Avec François-Guillaume Lorrain, effectivement, le cinéma peut parfois rivaliser avec le plus beau des romans.

Scarlett, François-Guillaume Lorrain (Éditions Flammarion). Coup de projecteur avec l'auteur, ce lundi 17 janvier, sur TSFJAZZ (13h30)
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